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Bonne maman du dimanche, vêtue d’un long fourreau de velours violet et coiffée d’une fanchon de dentelle blanche piquée d’un bouquet de violettes de Parme, trônait, droite, distinguée et un peu hiératique, dans le grand fauteuil à gauche de la cheminée du salon ; elle recevait, elle était toute à son affaire et aurait carrément renié sa cuisine !

Bonne maman du passé n’était pas là régulièrement ; mais les après-midi où ses pauvres yeux ne lui permettaient même plus le tricot, elle s’asseyait à côté du feu sur une chauffeuse de tapisserie, le dos à la fenêtre ; et, son fin nez droit entre l’index allongé et les autres doigts repliés, elle songeait profondément. A quoi pensiez-vous, bonne maman, dans cette attitude énigmatique ? Et que vous étiez loin de nous !

Etiez-vous donc quelque part dans cette garrigue où vous étiez née et qui avait imprimé sur vous tous ses caractères ? De fait, vous étiez, comme elle, comme ce pays de Montpellier, tout vent ou tout soleil, pierreuse et difficile comme les sentiers de chèvres où vous aviez joué, inattendue, provocante et parfumée comme les collines que la lumière du Midi change chaque jour, tempétueuse comme un jour de mistral, embrouillée comme un tourbillon de poussière sur une route blanche, étincelante comme un ciel d’avril sur le Rhône, ensorcelante comme un de ces petits chemins qui serpentent dans les vignes et vont finir dans les buissons de thym entre des oliviers charmants, où jouent des dieux inattendus. Vous étiez tout cela et bien d’autres choses encore ; tout ce divin Midi, qui a l’air d’avoir sauté de Grèce chez nous en faisant un bond par-dessus l’Italie, vous le faisiez passer dans vos récits et vos contes, dans les histoires de vendanges de Vendargues et de chasses dans les lagunes d’Aigues-Mortes. Si bien que, lorsque j’y fus à mon tour, quelque vingt-cinq ans après, rien ne m’étonna, je reconnus tout, tout me fut familier. C’était ma vraie patrie.

Soyez bénie pour m’avoir donné une si juste vision des choses !

Dans ce Montpellier, sous Louis XV à peu près, mon trisaïeul Lajard épousa la fille de son tailleur, parce qu’elle était très belle, très blanche et du plus beau blond vénitien ; mes arrière-grand’tantes, désolées, penchèrent un peu plus leur visage sur leurs broderies de laine, faites au point de