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clairvoyante, la méditation résolue à n’être point timide et qui, ayant trouvé sa raisonnable croyance, renonce à toute chicane.

C’est un roman de réalité, qui mène à une morale de réalité. Pour que cette impression de réalité soit plus évidente, l’auteur de la Nuit finira situe sa fiction romanesque dans le paysage le plus réel et dans les conditions les plus réelles de la vie : à la campagne, tout près du sol qu’on laboure et en pleine nature. Il connaît bien ce pays de Gascogne. Et il écrit : « Heureux ceux qui connaissent l’apaisante influence des besognes de la terre. Il envie parfois le geste uniforme du laboureur : la main gauche au mancheron, la droite tenant ensemble les rênes de corde et la tocadère, l’œil attentif au fil du sillon et à l’allure des têtes lentement oscillantes qu’il gouverne de la voix… » Il y a, dans l’existence des villes et dans l’existence parisienne, un tumulte et une agitation, qui, pour n’être pas moins réels que le calme des champs, ne donnent pas la même impression de réalité. L’on y soupçonne quelque chose d’artificiel et de fabriqué ; mais.la nature, la terre et le sol sont les symboles de la certitude.

Le drame étrange de ce roman se déroule parmi les réalités agricoles… « On dépiquait, — c’est-à-dire qu’on battait le blé et l’avoine à la métairie. C’est l’un des plus joyeux labeurs de l’année, et l’un de ceux qui rassemblent le plus de travailleurs ; les domestiques de la maison prêtent alors leurs bras à ceux de la terre. Au premier abord, c’était le dépiquage accoutumé, la vieille cérémonie fameuse dont les rites sont presque identiques dans les régions diverses de la France et qui ne se modifie qu’insensiblement, au cours des siècles, malgré le progrès des appareils… C’est la fin de la volée, c’est-à-dire du tas de gerbes que l’on dépique d’affilée, après quoi l’on se repose. Dans ce nuage doré fait de poussière, de balle de froment et de soleil, on s’assied, on se groupe, on accole les magnums de piquette rouge. Claire arrive en ce moment sur la sole… » Symbole de réalité, la terre est aussi un symbole de cet oubli et de cette fidélité qui sont la loi profonde et essentielle de la vie ; elle est le symbole de la vie et, comme ce roman, le symbole de la victoire que la vie remporte et doit remporter sur la mort.


ANDRE BEAUNIER.