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Que ces Persans aient perdu la doctrine, n’importe ! Il leur reste des manières de sentir, des désirs, des rêves dont la puissance est invincible. « On changerait plutôt le cœur de place ! » D’instinct ils accueillent tous les mouvements qui cherchent à donner à l’Islam le fondement rationnel de la philosophie grecque, et à le rendre plus profondément religieux, par les doctrines du soufisme et du messianisme. Ils attendent un Mahdi, un sauveur, qui apparaîtra dans la lignée légitime des descendants d’Ali. Comment le reconnaître ? C’est la question que tous se posent. Tous s’adonnent aux sciences occultes, ramassent les traditions prophétiques, les signes astrologiques, supputent la durée, rêvent de la fin des temps et créent des apocalypses.

Si tel est l’état d’esprit parmi les masses incultes, imaginez ce qu’il peut être dans ces Universités où des jeunes gens de l’élite viennent étudier ce qui survit du savoir hellénique ! Sans doute Nizam el-Mulk, Omar Khayyani, Hasan sont islamisés et arabisés ; sans doute, ils désirent retrouver à la cour des conquérants les places que leurs pères occupaient jadis, sous le régime national, et c’est pour obtenir de gros emplois qu’ils s’asseyent au pied de la chaire des maîtres étrangers ; mais au fond d’eux subsistent les énergies souterraines de la race, les vieilles nappes de la sensibilité aryenne. Ils sont disposés héréditairement à croire que deux puissances se disputent le monde et qu’ainsi s’expliquent les alternatives du bien et du mal, et voici que l’Imâm Muaffik prétend leur démontrer qu’un dieu unique régit l’univers. Un seul dieu, ou, pour employer le terme mahométan, « le seul réel agent. » Ce dieu unique est donc responsable du mal ? Ces jeunes gens pourraient glisser à la révolte, au blasphème. Certainement, ils se cabrent. Comment ils résoudront le problème, c’est une superbe image, un des symboles du monde. Ils vont s’enfoncer chacun dans la vie et faire leur destin, à leurs risques et périls, avec leur nature propre : Nizam el-Mulk se réfugiera dans un mysticisme tempéré par son bon sens d’administrateur ; Omar Khayyam flottera entre le Carpe diem et le fatalisme qui courbe la tête ; Hasan Sabah glissera au plus noir scepticisme, mais tous trois, dans ce premier moment, ils se sentent bien seuls et cherchent à s’épauler les uns les autres.

« Quand nous quittions la classe, nous nous répétions l’un à