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l’autre ce que nous venions d’entendre… » Ainsi s’exprime sommairement Nizam el-Mulk. Ils commentaient entre eux l’enseignement de leur maître, son enseignement du Coran et de la tradition coranique ; ils le confrontaient avec les aspirations qu’ils avaient dans le sang, et avec les livres de l’hellénisme qu’ils viennent de trouver à l’Université.

« … Et alors, un jour, ce méchant Hasan nous dit : « C’est l’opinion générale que les disciples d’Imâm Muaffik atteignent le succès, et sans doute l’un d’entre nous réussira, sinon tous trois. Quel arrangement ou quel contrat faisons-nous ? » Je répondis : « Ce qu’il vous plaira. » Il proposa : « Celui de nous qui fera fortune devra partager avec les autres, et ne pas en jouir seul. » Notes fûmes d’accord et nous nous engageâmes ainsi… »

Pour moi, cet engagement ne vise pas tout court l’argent et les honneurs. Ces trois jeunes gens de génie se sont attachés aux problèmes les plus profonds, qui intéressent tout l’être, problèmes religieux, politiques et de race. Ce serait calomnier l’ardeur généreuse de la vingtième année que de penser qu’il leur suffise d’avoir de bonnes places et de jouir de la vie. Plus encore qu’en jouir, ils voudraient la corriger, la redresser. Ils s’engagent les uns envers les autres, et tous trois envers leur idéal. Cet engagement solennel se relie à la partie divine de leur être et à la tradition dont ils participent. Il exprime ce qu’il y a de meilleur dans l’esprit, à l’âge du désintéressement, au moment de la jeunesse où l’être est le plus disposé à « se jeter au pied du trône de Dieu, » et à se dévouer.

« … Le temps passa, continue Nizam el-Mulk. J’allai du Khorasan à Mawâara un-Nahr, et puis à Ghazni et à Kaboul, et, à mon retour, je fus nommé au poste de Vizir près du Sultan Alp Arslan. À ce moment, Hakim Omar Khayyam vint à moi, et je remplis envers lui toutes les exigences du pacte, toutes les obligations de notre engagement. Je le reçus avec honneur et distinction, je lui dis : « Un homme de votre talent devrait servir le Sultan, et puisque, par notre convention, pendant que nous étudiions avec Imâm Muaffik, je me suis engagé à partager avec vous ma situation, je dirai au Sultan vos talents et vos connaissances, et ferai si bien que vous serez nommé comme moi à un poste de confiance. » Mais Khayyam répondit : « La plus grande faveur que vous puissiez me faire est de me laisser vivre dans la retraite, afin que, protégé par vous, je puisse m’occuper à accumuler les