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est le néant, et quiconque se laisse séduire par lui aura lieu de s’en repentir, mais alors le repentir ne servira plus à rien. Nous fuyons le monde et nous y avons renoncé : aussi notre unique désir est-il de recevoir deux charges de farine, une pour chacun, car nous avons l’un et l’autre de la famille. »

Ce que Hasan a toujours poursuivi, c’est de changer la loi. Il voulait cela avec Nizam el-Mulk et avec Omar Khayyam. Nizam a sombré dans l’opportunisme ; Khayyam, dans le scepticisme contemplatif ; mais lui, Hasan, il demeure un homme politique et religieux, un homme de foi, briseur de foi, un briseur d’Islam. Il vient donner satisfaction à ces débris de religion qui fermentent et se souviennent au fond des âmes indigènes. S’il a voulu la puissance, c’était pour satisfaire les rêves, les vengeances, les espoirs de Zoroastre écrasé et dénaturé, tout le génie persan qui réclame ses droits. Dans les âmes, ce qu’il va toucher, c’est le ressort religieux. Lui-même, avec ses fraudes et ses crimes, il est un ascète mystique. Comme il s’élève au-dessus de la conception du bonheur qu’il cultive chez ses instruments ! Il promet à ses dévoués une vie future, où ils satisferont leurs appétits physiques ; il leur ménage, dans le paradis de ses jardins, des jouissances brutales ; et cependant, jour et nuit, il est mystérieusement enfermé dans sa bibliothèque.

« Pendant tout le temps de son gouvernement, Hasan ne sortit que deux fois de sa maison, et ne monta sur sa terrasse qu’une seule fois. » Ainsi parle l’historien Hamd-Allah. Et cet autre historien, Mirkhond, écrit que Hasan ne sortit jamais du château et monta sur la terrasse deux fois. Il était continuellement en prière ou occupé à composer ses écrits.

Ses écrits ! voilà ce que nous voudrions connaître. Grand malheur qu’ils aient été brûlés, cent trente-deux ans après sa mort, quand les Mongols s’emparèrent d’Alamout. C’est à l’étude de l’âme qu’il s’adonnait, recherchant les moyens de disposer totalement des individus. On entrevoit une méthode monstrueuse pour corrompre les consciences, d’étranges recettes qui, en agissant sur les corps, lui permettaient de capter les âmes. Un de ses traités était, intitulé Ilzam. « Semblable à un oiseleur, Hasan fit de quelques sentences fort brèves la chanterelle de ses tromperies, et leur donna le titre d’Ilzam (ce qui convainc). » L’ouvrage est perdu. Nous en connaissons l’esprit.

Les anciens docteurs de l’Ismaélisme se fondaient sur l’interprétation