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nécessaire, en réservant les plus beaux arbres autour desquels on a bâti des murs, formant des courettes. C’est un des traits les plus sympathiques du Suédois que cet amour des arbres, et la pitié tendre pour tout ce qui vit autour de l’homme, pour la plante comme pour la bête. Cela me faisait penser tristement, par contraste à la façon stupide et cruelle dont les jardins de Paris sont traités, à des arbres que je connais, qui sont une joie pour toute une petite rue et que la spéculation condamne à mort.

Or, j’ai trouvé à Gothembourg, comme dans la charmante ville de Lund, comme à Stockholm et à Upsal, un accueil bienveillant. Le gouverneur et Mme de Sydow m’ont invitée à déjeuner dans leur magnifique résidence, maison ancienne, délicieusement rajeunie et embellie par une femme de goût.


Après un séjour trop rapide, j’allais partir, comblée d’amitiés, de compliments, de bonbons et de fleurs merveilleuses. Il me fallait quelque chose de plus, peut-être : une preuve matérielle que ma venue n’avait pas été inutile, et qu’en parlant, avec tout mon cœur, des femmes françaises, j’avais, pour ma petite part, gêné la méchanceté allemande.

Cette preuve, je la reçus, sous les espèces d’une lettre anonyme, injurieuse et ordurière, où il était question de l’« ignoble langue française, » des cannibales de la Ruhr, « des Français qui cravachent les femmes, des Françaises « qui sont toutes des….» et de « la guerre de délivrance, que la Suède fera à la France, avec la noble Allemagne... »

C’était signé « une Suédoise, » mais c’était écrit en allemand. Mes amis de Gothembourg l’ont lu, pourpres de colère et de honte.

Qu’ils n’en soient pas émus ! La signature est un faux-nez sur un visage boche, et les Suédoises n’écrivent pas dans ce style-là. J’ai oublié l’immondice, mais je me souviendrai des fleurs.


MARCELLE TINAYRE.