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privées de moyens financiers et de moyens techniques, languissent et ne font aucun progrès. Chez les épiciers de Palerme et de Syracuse, les conserves de fruits sont de marque anglaise. Dans toute la Sicile, on trouvait en 1920 une usine pour l’extraction et le traitement de l’acide citrique, alors qu’il y en a dix en Allemagne et que la Sicile est le pays du monde qui produit le plus de citrons.

Et la population ? eh bien ! voilà précisément ce qui rend la situation paradoxale et ce qui, en même temps, semble autoriser tous les espoirs. Laissons de côté la bourgeoisie : l’autre jour, un homme politique italien en distinguait deux ; il qualifiait l’une d’indifférente et l’autre d’analphabète ; je pense que la première épithète s’applique aux grands propriétaires, toujours absents, et la seconde à leurs fermiers-généraux, qui, s’ils ne savent pas lire, savent fort bien compter. Les deux catégories sont également dépourvues de vertus sociales et par conséquent d’intérêt. Au contraire, les paysans, — qu’il faut nommer ainsi, bien qu’ils habitent dans les villes, — possèdent des qualités rares et précieuses. Sobres, laborieux, courageux, intelligents, il leur manque ce que la nature toute seule ne donne pas : l’instruction, l’ordre, la méthode. La Sicile compte encore 40 p. 100 d’illettrés : elle en a eu jusqu’à 80 p. 100. Souvent une misère profonde. Mais ces ignorants et ces misérables vivent avec une honnêteté, une dignité qui commandent le respect. La plupart des familles sont très nombreuses ; il y a des villes où le nombre annuel des naissances est deux fois supérieur à celui des décès. Malgré des conditions matérielles déplorables, la pureté des mœurs, l’intégrité du foyer domestique, la discipline familiale sont exemplaires. « Appelé à confesser un pauvre homme gravement blessé par accident, me racontait le curé de X... je lui demandai : Tu n’as pas eu de relations avec d’autres femmes que la tienne ? Il me regarda d’un air scandalisé, presque indigné, et répondit : mai ! (jamais) »

Beaucoup sont réduits par la misère à émigrer en Amérique. New York et Brooklyn comptent d’énormes colonies siciliennes. Les missionnaires qui, de temps en temps, vont les visiter, les retrouvent vivant là-bas comme chez eux : aussi misérables et aussi honnêtes. Le paysan sicilien est profondément attaché à la croyance et à la pratique catholiques. « Si vous lui parliez de divorce, me disait quelqu’un, il prendrait