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toute d’esprit, mais de bon esprit, simple, sans prétention ; il y avait longtemps que je n’avais lu de vous quelque chose qui me fit autant de plaisir ; d’où je conclus que vos tableaux sont vrais, bien que je sois inapte à en juger. Je suis tout heureuse de vous donner cet éloge sans restriction, non que j’aie la fatuité de le croire de quelque importance, mais parce que rien ne m’apporte une sensation plus agréable que de me sentir à votre unisson, et nos milieux sont si différents que cette harmonie est rare. Vous ne viendrez plus à Frapesle, je le sens bien, mais je n’en ai pas pris mon parti. Vous voir aux Jardies n’est pas du tout la même chose. Là, d’abord, votre temps à une telle valeur que l’idée d’en user ne saurait naître, et les Jardies sont bien plus loin de Versailles que je n’aurais imaginé. Je me résigne à cette séparation, comme aux conséquences de votre vie de plus en plus compliquée. Nous suivons des routes si divergentes qu’il n’est pas étonnant que nous ne puissions nous donner la main. Je n’ai pas l’égoïsme féroce de vous souhaiter quelque bonne surexcitation qui vous oblige à un repos complet, ni un de ces chagrins de cœur qui font si vivement sentir le prix de la bonne amitié. Si le cas échéait pourtant, rappelez-vous Frapesle et ses deux vieux habitants, et venez-y avec toute confiance.

Auguste n’est plus en Chine, il a dû la quitter au commencement de juin, et se rendre à Manille pour, de là, aller à Calcutta, puis à Delhi, puis à Bénarès. Je lui écris toujours, mais la certitude qu’il ne reçoit aucune de nos lettres me décourage et jette, malgré moi, un froid mortel dans cette correspondance. Pensez donc que, depuis trois ans, il n’a reçu que deux lettres de moi, et une, je crois, de sa famille. Le pauvre garçon ne compte pas être de retour avant trois ou quatre ans. Dieu le soutienne pendant ce long exil ! Le marchand grainetier qui lui a fait son envoi réclame encore une fois les sept cent six francs pour lesquels j’avais obtenu un sursis. Je ne sais ce que vous devez à Auguste. Si vous pouvez payer cette somme, en tout ou en partie, vous lui rendrez un grand service. Comme il ne veut pas que sa famille entre pour rien là-dedans, nous supporterons cette charge. Dites-moi vite un mot là-dessus, afin que nous prenions des mesures. Si vous pouvez quelque chose, envoyez l’argent à M. Barthe [1], rue de Montreuil, 64 ; c’est là

  1. Maître de pension à Versailles.