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Ma carte postale est prête sur ma table et attend le passage du sergent afin d’effectuer son voyage vers la chère maison où elle ira mettre un peu de baume sur l’âme meurtrie de ma bien aimée femme…

Le voisin L… est ivre de joie : en lisant la lettre de quatre pages que sa femme lui a fait parvenir, son immense bonheur lui amène des larmes aux yeux. Oh ! j’admire cet homme, quel bon père de famille ! Quel grand cœur…

Patatras ! le canon tonne… Le sourire reparaît sur mes lèvres et on se sent revivre… Je me hisse sur ma chaise, pour me rapprocher du cran de la fenêtre. Nous voyons les shrapnels éclater dans le ciel et laisser derrière eux des fumées blanches qui flottent dans l’air pareilles à de petits nuages. L’aéroplane passe crânement, et ne parait pas se soucier de la manifestation bruyante faite à son intention.

Je termine ma journée par une charmante conversation avec le voisin du 71.

L’astre de la nuit se montre dans toute sa splendeur, sa lumière d’argent charme mes yeux rêveurs qui contemplent fixement le ciel tout constellé d’étoiles.

Samedi, 28 août.

Je suis au travail depuis le grand matin. Les oiseaux viennent m’interrompre en me rappelant qu’ils n’ont pas encore eu à manger. Pour les satisfaire, je m’empresse de préparer leur nourriture. Elle constitue pour eux une petite fortune qu’ils se partagent bien gentiment.

Mon inquiétude est grande : il est trois heures, et je n’ai pas encore reçu le paquet de linge qui me parvient à l’ordinaire le samedi dans la matinée. Je finirai par apprendre, j’en ai bien peur, que ma femme a été emprisonnée.

L’anxiété me gagne de plus en plus, ma pensée me dit qu’elle est en prison… il me semble dans la galerie, avoir entendu prononcer Mme Baucq… je crois l’entendre pleurer, gémir, oui, oui… c’est bien sa voix. Serait-ce possible ? Ah ! quelle torture morale on subit entre ces quatre murs !… J’ai chaud… je transpire… je marche, et rageur par moments, je donne des coups de pied sur le parquet…

À quatre heures, quelqu’un vient toucher la clinche de la porte… une émotion me saisit, on n’ouvre pas.