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— Bonne réponse ! Mais enfin des Jésuites français, et qui relèvent de la province de Lyon, ne sont tout de même pas entrés en religion avec le but exprès de répandre la langue française.

— Nous accomplissons gesta Dei per Francos.

— Cela encore est très bien. Mais dans l’espèce, à l’Université Saint-Joseph, où sont les gesta Dei ? En quoi les services que vous rendez à la France servent-ils Dieu et l’Église ? Qu’est-ce que Rome attend de cet immense effort ?

De leurs multiples réponses j’arrive à me former cette pensée claire : le prêtre catholique n’est pas en Orient pour enseigner la langue française. Cet enseignement est le moyen, et non pas le but. Le prêtre est en Orient pour faire l’union des Églises, pour mettre fin au schisme de Photius et de Cérulaire. C’est dans ce dessein principalement qu’il recourt aux œuvres d’enseignement et de charité, dont il attend qu’elles rapprochent les hommes et apaisent leurs malentendus. Avant de réussir, à convertir les gens, il faut se faire connaître, aimer, apprécier, il faut préparer l’heure unanime où fleurira la grande parole d’unité : « Nous nous estimons ; pourquoi ne serions-nous pas un seul troupeau sous un seul pasteur ? » Sa tâche de professeur permet au missionnaire de pénétrer dans toutes les familles chrétiennes et d’y apporter la vérité catholique, avec le double prestige du prêtre et de l’éducateur. On désire ici avec tant d’ardeur acquérir la connaissance de la langue française ! Et les œuvres de charité sont plus efficaces encore que les œuvres d’enseignement. Une infirmière sur le champ de bataille est toute-puissante auprès des cœurs : dans cet Orient livré aux ravages de la misère, nos Religieuses émerveillent les Turcs eux-mêmes, qui les traitent comme des reines. Un savant uléma de Sainte-Sophie disait : « Puissé-je ne pas mourir, sans avoir auprès de moi un de ces anges venus du ciel pour bercer la misère humaine ! »

Mais si haute et si vraie qu’elle soit, cette politique de la réunion n’explique nullement l’abondance des missionnaires français, qui forment à eux seuls les huit dixièmes de l’armée de la propagande catholique. La fin du schisme, voilà un motif plus officiel qu’intérieur et dont je doute qu’il ait déterminé beaucoup de vocations. N’exigeons pas que les missionnaires nous fassent là-dessus des réponses nettes et claires. « Nul œil ne peut se voir lui-même. Oculus non semetipsum videt, » comme