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disait Taine à Bourget. La vérité, c’est que leur âme a son instinct, ses ailes, et veut accomplir la tâche aventureuse que nos ancêtres ont toujours estimée attrayante et noble. Ils appartiennent à une race dont la plus lointaine parole est : « Je ne crains rien, sinon que le ciel me tombe sur la tête, » et ces courageux fils de la Gaule et de Rome sont venus ici au secours du ciel chrétien ébranlé par l’Islam. C’est le legs des siècles, une tâche française qu’ils ne remettent pas en question. Ils sont ici parce qu’avant eux, d’autres clercs et des chevaliers y furent. Ils ont trouvé ce désir, ce devoir, cette imagination dans la tradition chevaleresque. Ils succèdent vraiment aux Hospitaliers, aux Templiers.

Saint François d’Assise était regardé comme « le chevalier du Crucifié, » et le premier chapitre général de ses disciples fut appelé « le camp de Dieu, » « le rendez-vous des chevaliers du Christ. » Saint Ignace, c’est un soldat et qui pense fonder un ordre de chevalerie. Sa méditation des deux étendards et celle du règne du Christ rendent bien compte de son état d’esprit. Saint Vincent de Paul, en fondant les filles de la Charité, s’accorde avec ce Jacques Molay, qui donnait comme mot d’ordre à ses chevaliers de protéger l’humble pèlerin sur les chemins de Syrie, sicut mater infantem. Le Père Joseph, jusqu’à sa mort, a rêvé de recommencer la croisade. Dans leurs hôpitaux et leurs dispensaires, les sœurs de Charité pourraient prendre pour devise le vers superbe des chansons de geste :


Donner, voilà ses tours et ses créneaux.


Tous et toutes méritent la sublime définition que Victor Hugo a donnée du chevalier :


Il écoute partout si l’on crie au secours !


Et justement voilà pour compliquer le mystère : ils sont partis comme des chevaliers, et nous les trouvons en train de faire la classe à des marmots. Quand vous êtes venus de France, mes Pères, cet Orient, c’était la terre promise, une terre de délices : au spirituel, du lait, du miel, et peut-être le martyre. Et puis voici (avouez-le) rien que des pierres. Le missionnaire qui faisait des rêves d’apostolat héroïque se heurte à une civilisation si fermée, si sûre d’elle-même que parfois il ne peut pas ne pas éprouver le sentiment de son impuissance