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avec la civilisation. C’est un fait qu’ils tirent rarement sur le train et que leurs femmes rient en nous regardant.

On arrive à Alep au milieu des jardins. La citadelle, dressée sur un Tell, pousse vers le ciel ses murailles et ses tours.

À la gare, nous trouvons le Consul, M. Barré de Lancy, son attaché, les Pères jésuites, les Pères maristes, les sœurs de Saint-Joseph avec leur Supérieure. Et celle-ci, tout de suite, avant que j’aie quitté le marchepied du wagon :

— Monsieur Barrès, il ne faut pas laisser devancer la France.

C’est la sœur Placide Calé, une Bretonne, provinciale des sœurs de Saint-Joseph pour la Syrie, la Palestine et Chypre, une femme de tête et qui fait contraste, je vous prie de croire, avec ces Orientaux protocolaires qui se mettent à ma disposition.

Elle me prend par la manche :

— Venez voir notre hôpital en construction. Il n’avance plus, on manque de fonds. Vous pouvez nous avoir du crédit. Il le faut, c’est nécessaire ; sans quoi, les Allemands en vont construire un pour leur compte.

Et ses explications se pressent, impérieuses, intransigeantes :

— C’est plein d’Allemands, ici, des ingénieurs, des officiers, pour la construction du Bagdad et du pont sur l’Euphrate, Ils ont fait venir des sœurs catholiques d’Allemagne. Elles réussissent mal, c’est entendu. Mais il n’y a que deux ans qu’elles sont arrivées. On ne réussit pas en un jour. Elles vont avoir un hôpital. Enfin, monsieur le Consul, ai-je tort ou non ?

Et le Consul de confirmer la gravité du péril :

— Les Allemands font le maximum pour plaire aux indigènes. Ils réussissent difficilement, parce qu’ils ne sont pas aimables. Eux-mêmes le reconnaissent. Mais ils procèdent avec intelligence et méthode. Ils ont beau se faire détester, ils deviennent les plus influents. En trois années, ils nous ont quasi délogés d’Alep.

— On résiste, on gagnerait la partie, reprend la sœur, mais monsieur le député, avec votre Chambre et vos ministres, vous ne faites que des sottises.

Comme elle y va, la sainte fille ! Je l’écoute, je l’admire et je voudrais un peu qu’elle me laissât, penser à Alep ! C’est ennuyeux de. ne passer ici que deux jours et d’y être absorbé par nos stupides querelles.