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Pour visiter les diverses congrégations, nous circulons dans tous les sens à travers la ville : une ville franque, du genre de Beyrouth, avec un bazar assez important. Le point intéressant c’est la citadelle, sur une butte de terre, comme à Homs : une construction de l’époque arabe, bien délabrée, mais avec une allure ! C’est en miettes, à bien voir, et pourtant, cela étonne et enchante. Nous sommes montés sur ses plus hauts balcons à la fin de la journée. On domine la ville, mais à quoi se prendre dans ce chaos de maisons ? Où fixer mon esprit ? Ces villes immobiles, Homs, Hama, Alep, assises dans leurs pierrailles, sous ce soleil, auprès de leur rivière, que désirent-elles, que remâchent-elles depuis des siècles ?

C’est ici que l’on voit le rôle immense des écrivains, poètes ou philosophes, qui tiennent la plume au nom de leurs concitoyens. Je sais que Djelal-eddin Roumi, le grand poète dont je vais honorer le tombeau à Konia, a rencontré ici, à Alep, Kemal-eddin Ibn-el-Adim, un historien très savant, « au cœur éclairé et croyant, » Ils ont vécu quelques semaines ensemble dans le collège Halàwiyya, me dit M. Huart, auprès de la grande mosquée (et probablement ce collège était une transformation de la cathédrale chrétienne). Que purent-ils se dire ? À ce moment, Djelal-eddin était au début de sa vocation ; son père venait de mourir ; ce serait pour moi prodigieusement intéressant d’avoir une idée de son état d’esprit. J’ai aussi entendu parler d’un poète, Sohrawardi d’AIep, celui qui appelait al Hallâj « mon frère. » Il pensait que par une lutte systématique contre ses instincts physiques l’homme peut se purifier, se sublimer, se supernaturaliser, enfin se diviniser. Je voudrais l’entendre, ce néo-platonicien hermétique. Mais tous trois aujourd’hui sont muets, oubliés ; nul, que je sache, ne peut me les ressusciter ce soir. Résignons-nous donc à nous promener, de la manière la plus vaine, à la surface de ces profondeurs d’Islam et en dehors des pensées séculaires indigènes ; acceptons que pour nous, ce soir, la spiritualité de l’antique Alep tienne toute dans la phrase que me répète, sous trente-six formes, le petit groupe qui me conduit à travers les rues : « Les Allemands progressent, nous leur résistons… »

Nous entrons chez les Frères maristes, qui donnent instruction et enseignent notre langue à 650 filles et garçons ; — dans les écoles de l’Alliance israélite, qui rassemblent près de