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militaires et religieux. Ces sculptures, qui datent du début du premier millénaire avant notre ère, ne sont pas, comme on l’a cru longtemps, de l’art assyrien dégénéré. Au contraire, elles précèdent la belle période de l’art assyrien et, comme lui, elles constituent un rameau d’un art plus général qu’un peut qualifier de mésopotamien…

Je vous rapporte tout cela, tel que me le raconte Contenau dans le train qui nous ramène à Alep. Il est tout émerveillé des 230 000 francs que le British Muséum vient de dépenser là en quatre années ; une grosse somme pour un budget d’archéologie, mais dont il juge que les résultats sont très beaux. Pour moi, je vous avouerai que je n’ai pas vu grand chose, car les Anglais ont collé des bandes de papier sur leurs trouvailles, pour empêcher qu’on les admire et surtout qu’on les photographie.

Détail qui me frappe aujourd’hui : ces fouilles de Karkemish étaient dirigées en second par le colonel Lawrence, qui, dans la suite, devait déployer tant d’acharnement contre la France, et susciter contre nous la sinistre aventure de Fayçal. Pour les Anglais, comme pour les Allemands, à Karkemish comme à Baalbek, les chantiers de fouilles sont, autant que des centres de science, des centres d’information. Et le colonel Lawrence me semble faire le pendant du professeur Oppenheim.

Ah ! j’ai tort de trop me contrarier si j’arrive mal à comprendre les luttes des Hittites et des Assyriens, et si elles demeurent sous mes yeux quelque chose d’aussi sec et d’aussi inhumain que les batailles de coléoptères que nous racontait l’entomologiste Fabre. J’ai sous les yeux, pour me dédommager, la lutte des Français, des Allemands et des Anglais dans Alep. Rien n’a profondément changé, à cette croisée des routes éternelles que suivent les principales caravanes, depuis la Mésopotamie et la Perse jusqu’à la côte, et les Allemands, amoureux de la force et jouant au surhomme, se piquent d’y ressusciter la manière babylonienne.

(En relisant ces notes, me sera-t-il permis de regretter que nos derniers accords avec la Turquie, qui fixent la frontière à la voie ferrée et ainsi nous attribuent la gare et le village de Djerablous, laissent en dehors de notre zone, et de la pioche de Contenau, à 500 mètres au Nord, le Tell des Hittites qui, je crois, n’intéresse que très peu les Turcs ?)