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mœurs latines. Les croyances religieuses de ces deux peuples ne présentent pas de différences notables ; aussi leurs monuments offrent-ils beaucoup des mêmes caractères. Il convient seulement de remarquer que les Romains ajoutèrent aux traditions de leurs prédécesseurs l’invention des voûtes et les constructions circulaires, c’est-à-dire les arènes, les théâtres, les naumachies[1].

La révélation chrétienne, réalisée politiquement dans le moyen-âge par le catholicisme, a également donné lieu à la création d’un type particulier d’architecture, dont l’ogive ou arc en tiers-point forme le trait essentiel, et qui atteignit l’apogée de sa gloire au XIIIe siècle, c’est-à-dire lorsque l’église fut parvenue au sommet de sa puissance. C’est en effet dans le XIIIe siècle que les papes, souverains élus, représentants de l’unité spirituelle, s’établirent tout-puissants sur un chaos d’empires, de royautés, de seigneuries et de républiques, basés sur le privilège de la force ou de la naissance. C’est encore dans le même temps que furent fondés les ordres religieux les plus célèbres, et que parurent les troubadours et les trouvères les plus illustres. Les tentatives épiques les plus remarquables, telles que le chant de Roncevaux, les légendes de Gautier de Loincy, les romans de Brut, de Rou et du Renard, datent également de cette époque.

Les monuments les plus célèbres de l’art chrétien, ceux qui peuvent être considérés comme prototypes, sont les cathédrales de Cologne, de Chartres, de Reims, d’Amiens, de Beauvais, la Sainte-Chapelle, Saint-Denis, la façade de Notre-Dame de Paris ; les églises de Salisbury, d’York, de Durham, de Burgos et de Tolède.

C’est à Byzance que les artistes chrétiens empruntèrent dans l’origine leurs premiers modèles. Le goût néo-grec du Bas-Empire, plus ou moins modifié, et qui est désigné, selon le temps et les lieux, par les noms de style byzantin, roman, lombard, normand, etc., fut adopté dans les églises d’Orient et introduit plus tard dans celles d’Occident, où il se maintint jusqu’au XIIIe siècle.

Ce qui précède peut également s’appliquer aux monuments arabes. Les artistes de cette nation empruntèrent en effet aux Byzantins le goût de leurs premières constructions ; ils s’élevèrent ensuite progressivement jusqu’à la création d’une école tout à fait nouvelle, ou qui, du moins, ne présente que des rapports très-éloignés avec les monuments du Bas-Empire et du catholicisme en général. Parvenu au point culminant de sa gloire, le style arabe ne tarda pas à décliner, et finit même par se perdre complètement sous l’influence barbare du génie turc.

M. le baron Taylor, qui joint à de profondes études archéologiques un goût si éclairé pour les beaux-arts, et qui, l’un des premiers, a compris combien il importait à la gloire de la France de veiller avec soin à la conservation des monuments historiques, ces parchemins des nations ; M. le baron Taylor, disons-nous, a conçu le projet de solliciter l’appui du gouvernement pour former une collection dans laquelle seraient réunis les modèles propres à donner une idée de l’histoire de l’architecture, depuis les constructions troglodytes des peuples primitifs et les allées couvertes des Celtes, jusqu’aux chefs-d’œuvre de la Renaissance. Dans ce musée seraient recueillis les types en miniature des temples et des monuments les plus célèbres de l’Indo, de l’Egypte, de la Grèce, et de l’Empire romain. Là se trouveraient aussi des modèles correspondant aux diverses phases de l’art arabe, comme aussi des églises byzantines, romanes, gothiques et de la Renaissance, c’est-à-dire appartenant aux principaux groupes de l’architecture chrétienne. Des spécimens propres à donner une idée de la révolution opérée dans les arts en Italie par Brunelleschi et Michel-Ange, et à caractériser le goût architectural qui domina en France sous François Ier, Henri IV, Louis XIII et jusqu’au règne de Louis XV, qu’un caprice de la mode a depuis peu remis en honneur, seraient également conservés dans ces galeries. Le nombre de modèles dont cette collection devrait se composer ne serait pas, à beaucoup près, aussi élevé qu’on pourrait le croire de prime-abord ; et les avantages qu’il est permis d’espérer d’un pareil musée ne sauraient être révoqués en doute. Bornons-nous à dire qu’il faciliterait l’étude de l’archéologie envisagée d’un point de vue très-élevé, qu’il contribuerait puissamment à la conservation des monuments historiques en propageant le goût de ce genre d’étude, et qu’il donnerait une idée générale, mais exacte, du développement des beaux-arts.

Nous formons des vœux bien sincères pour que cette belle pensée soit prochainement réalisée.

Tournal.

THÉORIE.

DES PONTS SUSPENDUS.

PREMIÈRE SECTION.

CLASSIFICATION ET HISTOIRE DES PONTS EN GÉNÉRAL

CHAPITRE Ier.

Art. 1.Généralités. — Dans les premiers âges du monde, quand une végétation puissante et féconde couvrait la terre de forêts vierges, des arbres tombés de vétusté, ou déracinés par l’action des eaux ou la violence des vents, et jetés accidentellement en travers des torrents ; des rochers détachés par les dernières grandes commotions plutoniques et suspendus au-dessus des précipices, formèrent les premiers ponts qui servirent aux hommes primitifs, et que leur intelligence, jeune et grossière encore, imita dans l’enfance des constructions, pour les faire servir à l’usage des premières peuplades.

Mais peu à peu les populations se multiplièrent, les exigences s’accrurent par les relations ; alors, pressés par le besoin, les hommes, aidés par l’expérience et guidés par la science, arrivèrent, mais progressivement et par degrés très-lents, à établir avec solidité et d’une manière rationnelle ces immenses constructions qui franchissent aujourd’hui les rivières, les fleuves et même les vallées.

Au commencement de ce siècle, l’Europe et une grande partie de l’Asie comptaient un grand nombre de ponts ; mais aucun d’eux ne révélait encore le pont en cordes ou en chaînes au-

  1. Il convient d’ajouter aussi qu’ils inventèrent les arcs de triomphe, genre de monument essentiellement caractéristique de ce peuple guerrier. (N. du D.)