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Page:Revue générale de l'architecture et des travaux publics, V1, 1840.djvu/19

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quel on attribue exclusivement le nom de pont suspendu, et dont les habitantes des deux Indes se servaient depuis un temps immémorial.

Ce fut probablement encore la nature qui éleva, au milieu des riches déserts de l’Asie et de l’Amérique, ces premiers ponts suspendus, qui dirigérent plus tard les industrieux habitants de ces contrées dans la construction de leurs ponts-hamacs, dont plusieurs existaient en Amérique avant l’arrivée des Européens.

Des lianes placées sur les rives opposées d’un torrent et dirigées par des branches d’arbres, se sont réunies et ont servi de guides et de soutiens à des tiges plus jeunes, qui, en croissant, ont bientôt formé un filet dont le temps a serré les mailles et assujetti les extrémités aux rochers et aux arbres. L’homme alors a pu y passer sans pâlir. Mais la nature, quia bien voulu donner un exemple à l’homme, ne s’est pas engagée à établir des communications partout où celui-ci en aurait besoin ; il a donc été obligé d’en construire lui-même, en prenant pour modèle ce que la nature avait créé. Enhardi par ses premiers succès, il a bientôt tenté de franchir des distances plus grandes ; il a réuni plusieurs lianes, qu’il a débarrassées d’un poids inutile, en ne conservant que les parties filamenteuses, et il a formé ainsi des câbles qui ont remplacé les plantes de la nature. Les feuilles, les herbes et les tiges transversales, ont été remplacées à leur tour par des branches d’arbres et des bambous posés perpendiculairement à la direction des câbles et assujettis à ceux-ci. Enfin, quelques herbes nattées ont complété le plancher de ces ponts, qui étaient amarrés à des arbres ou à des rochers, suivant les localités.

Art. 2. — Ce que l’on appelle ordinairement ponts suspendus. — L’on appelle vulgairement ponts suspendus tous ceux dont le plancher est fixé au moyen de chaînes ou de câbles. Cependant, nous pensons que cette dénomination est impropre dans ce sens, que ce mot de pont suspendu entraîne avec lui l’idée d’un pont dont le plancher est entièrement suspendu. Cette définition ne saurait s'appliquer exactement aux ponts représentés figures 11 et 12, (Voyez Pl. 1), ou les supports placés sur les courbes et qui soutiennent le tablier du pont, ont à résister à l’écrasement. Pour être conséquent, nous pensons qu’il convient d’établir les définitions des différentes espèces de ponts d’après les genres d’efforts que leurs planchers exercent sur les matériaux qui les supportent.

Des modes de résistance des matériaux. — Les matériaux que l’on peut employer dans les constructions peuvent résister de trois manières différentes et bien distinctes :

1o A un effort dirigé perpendiculairement à leur longueur (Fig. 1), et qui tend à en produire la rupture transversale. — Résistance par Rigidité.

2o A un effort dirigé dans le sens de leur longueur et qui tend à en produire l’écrasement (Fig. 2). — Résistance à la Compression.

3o A un effort dirigé dans le sens de leur longueur et qui tend à en produire la dilatation (Fig. 3). — Résistance à l’Extension.

De la composition et de la classification des ponts. — Un pont quelconque se composant toujours d’un plancher supporté par un appareil que nous nommerons système suspenseur général, nous distinguerons les ponts entre eux d’après le genre d’effort auquel seront soumis les éléments qui composent le système suspenseur général.

Le système suspenseur général se compose de deux parties, dépendantes l’une de l’autre, mais bien distinctes :

1o De la partie rigide ou flexible qui reporte le poids du plancher sur les rives et à laquelle tiennent les tiges ou supports qui reçoivent le plancher (Voy. a, b, e, Fig. 6 et 8) : nous la désignerons sous le nom de suspenseur principal :

2o De la partie compressible ou extensible qui complète le système suspenseur général et qui reporte le poids du plancher sur le suspenseur principal 1, 2, 3, etc. (Fig. 6 et 8) : nous nommerons celle-ci suspenseur accessoire.

Ainsi, dans les figures 6 et 8, le système suspenseur principale se compose de l’arc solide a, b, c, ou de la chaîne a, b, c. et le système suspenseur accessoire se compose des moises pendantes (Fig. 6) 1, 2, 3, etc., ou des liges 1, 2, 3, etc. (Fig. 8)[1],

Maintenant, établissons la classification des diverses espèces de ponts, d’après les différentes combinaisons du système suspenseur principal et du système suspenseur accessoire. Voici le tableau de cette classification :

1re Classe — PONTS RIGIDES
  • 1o A système suspenseur principal rigide résistant à la rupture transversale, et à système suspenseur accessoire nul (Voy. Fig. 4)[2]
2e Classe — PONTS COMPRESSIBLES[3]
  • 1o A système suspenseur principal résistant à la compression, et à système suspenseur accessoire nul (Voy Fig. 5.)
  • 2o A système suspenseur principal résistant à la compression, et à système suspenseur accessoire compressible (Voy Fig. 6.)
3e Classe — PONTS EXTENSIBLES
  • 1o A système suspenseur principal extensible, et à système suspenseur accessoire nul (Voy Fig. 7.)
  • 2o A système suspenseur principal extensible, et à système suspenseur accessoire compressible (Voy Fig. 8.)
4e Classe — PONTS MIXTES
  • 1o A système suspenseur principal rigide, et à système suspenseur accessoire compressible (Voy Fig. 9.)
  • 2o A système suspenseur principal rigide, et à système suspenseur accessoire extensible (Voy Fig. 10.)
  • 3o A système suspenseur principal extensible, et à système suspenseur accessoire compressible (Voy Fig. 11 et 12.)
  • 4o A système suspenseur principal compressible, et à système suspenseur accessoire extensible(Voy Fig. 13 et 14.)
  1. Rigoureusement parlant, les matériaux ne résistent que de deux manières tout à fait différentes et bien distinctes :
    1o Par compression ;
    2o Par extension.
    La rigidité n’est qu’une modification ou plutôt une combinaison des deux efforts précédents. Ainsi, dans les pièces qui travaillent par rigidité, les fibres supérieures tendent à s’accourcir et les fibres inférieures tendent a s’allonger ; il n’y a que les fibres comprises dans ce que l’on appelle le plan d’axe neutre (celui autour duquel se fait le mouvement) qui n’éprouvent aucune modification. Il suit de là que dans les Fig. 11, 12, 13 et 14, le suspenseur général peut être considéré comme une seule pièce, une armature rigide. Cependant, dans la classification que nous nous proposons d’établir, nous considérons trois sortes de résistance : 1o la Rigidité ; 2o la Compressibilité ; 3o enfin, l’Extensibilité ; et cela parce que nous pensons qu’il vaut mieux considérer la nature des efforts des éléments simples et homogènes, que le genre de résistance de l’ensemble du système, qui, se composant presque toujours d’éléments hétérogènes, nécessite des calculs particuliers pour chaque partie.
  2. On comprend que les piliers intermédiaires qu’on élèverait pour abréger la longueur des portées, ne sauraient changer en rien le genre d’effort que le plancher exerce sur son suspenseur général.
  3. Cette expression n’est pas parfaitement correcte, nous le savons, mais attendu la nécessité de parler fréquemment de cette espèce de pont, il serait trop long de dire, pont à système suspenseur général compressible. La même raison existe pour justifier quelques autres expressions qui semblent hasardeuses.