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Page:Revue générale de l'architecture et des travaux publics, V1, 1840.djvu/20

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Définitions. — L’appareil suspenseur général pouvant être, 1o Rigide, 2o Compressible, 3o Extensible, et 4o Mixte, nous distinguerons : 1o les ponts rigides, 2o les ponts compressibles, 3o les ponts extensibles, et 4o les ponts mixtes de quatre espèces : rigide compressible, rigide extensible, extensible compressible, compressible extensible.

Nous appellerons donc

1o Ponts rigides, ceux de la première classe où le système suspenseur se compose entièrement de pièces rigides (Fig. 4) ;

2o Ponts compressibles, les ponts de la deuxième classe dont le système suspenseur général résistera entièrement à l’écrasement : le système suspenseur principal étant au-dessous du tablier du pont et convexe, les culées seront poussées du côté des terres (Fig. 5 et 6) ;

3o Ponts extensibles (ponts suspendus), ceux dont le système suspenseur général résiste entièrement à l’extension : le système suspenseur étant au-dessus du tablier du pont et concave, les culées seront entraînées vers l’espace à franchir (Fig. 7 et 8) ;

4o Ponts mixtes, ceux dans la composition desquels le système suspenseur général n’est pas de môme nature que le système suspenseur accessoire. (Voy. Fig. 9, 10, 11, 12, 13 et 14.)

Dans ce dernier cas, les culées tendront à marcher du côté des terres ou vers le lit de la rivière, suivant que le système suspenseur principal sera compressible ou extensible.

Maintenant, suivant que le pont sera fixe, mobile ou volant, il s’établira naturellement des subdivisions susceptibles elles-mêmes d’une nouvelle différenciation d’après la nature des matériaux employés, tels que la pierre, le bois, le fer, la fonte, etc., et suivant même les combinaisons de ces différents matériaux ; mais ceci nous entraînerait trop loin et ne saurait être donné dans une simple notice.

CHAPITRE II.

Art. 1er. — Ponts rigides. Les ponts rigides de la première classe {Fig. 4) ont dû être les premiers ponts employés, et leur usage doit remonter à une époque très-reculée ; dans tous les cas, on peut dire qu’ils sont antérieurs aux ponts en cordes des Sauvages d’Amérique, puisque, pour les premiers, l’intelligence la plus neuve suffit, tandis que les autres exigent déjà les premières notions de l’art de la corderie.

Les ponts les plus anciens dont la description est arrivée jusqu’à nous et qui méritent d’être cités, sont :

1o Le pont de Sublicius construit sous le règne d’Ancus Martius. Il se composait de palées ou files de pieux très-rapprochés, et dont la tête recevait un chapeau qui supportait le plancher du pont formé par des poutres longitudinales recouvertes de madriers ;

2o Le pont de César, sur le Rhin, dont les poutres transversales étaient moisées sur les pieux. Quant au plancher, il ressemblait à peu près à celui du pont précédent.

Art. 2. Le pont de Trajan, établi sur le Danube, est un des plus anciens ponts en charpente construits d’après le principe des ponts de la deuxième classe. Il était bien supérieur aux précédents, et se composait de piles en pierre supportant des courbes moisées qui recevaient les poutres composant le plancher du pont.

Les Égyptiens et les Grecs, qui nous ont transmis des monuments si admirables sous le rapport du grandiose et du style, ne nous ont point laissé de traces de ponts. Il y a d’ailleurs tout lieu de croire qu’ils ne connaissaient pas l’art, de construire des voûtes, condition indispensable dans un pays comme l’Egypte, qui ne produit presque pas de bois et qui n’est traversé que par un fleuve unique d’une immense largeur. Quant à la Grèce, ses fleuves ne sont guère que des ruisseaux grossis par intervalles, et qui, par conséquent, n’ont guère fait sentir la nécessité de perfectionner cette espèce de construction.

Il est probable que c’est des Étrusques que les Romains tenaient l’art de faire des voûtes. La première application qui en soit parvenue jusqu’à nous est le grand égout (Cloaca Maxima) construit sous Tarquin l’Ancien.

Les Romains, dont les travaux d’art étonnent autant que leurs conquêtes, nous ont laissé un grand nombre de ponts. Nous en citerons deux principaux à cause de leur étendue : le pont d’Alcantara, en Espagne, et le pont du Gard, à Nîmes.

Plus tard, vers la fin du XIIe siècle, il s’établit, en Allemagne et en France, une société dite des Frères-du-Pont, qui contribua puissamment à l’érection de ces monuments utiles[1].

Ils construisirent les ponts de Bon-Pas, d’Avignon, de Saint-Esprit, etc. En même temps s’élevaient le vieux pont de Londres, le pont de la Guillotière à Lyon, le pont de Ceret, le pont de la Vieille-Brioude sur l’Allier, puis le pont de la Sainte-Trinité à Florence, le pont de marbre de la même ville, construit par Michel-Ange, et le pont Corvo, qui fut terminé en 1505 par le frère Joconde, etc.

De 1500 à 1700 furent construits plusieurs ponts à Paris, et à partir de 1720, époque de la création du corps des ingénieurs des ponts et chaussées, les ponts de Blois, d’Orléans, de Tours, de Moulins, et, quelque temps après, le fameux pont de Neuilly, et enfin, de nos jours, sous nos yeux, les beaux ouvrages en fer et en fonte du pont des Arts, du pont d’Austerlitz, du pont des Saints-Pères, etc.

Nous terminerons ici cet aperçu sur les ponts fixes, pour nous hâter d’arriver aux ponts qui feront le sujet principal de ce travail.

Art. 3. — Ponts extensibles (ponts suspendus.) Rien de ce qui nous vient des Égyptiens, des Grecs, des Romains et des Goths, ne nous indique que ces peuples aient eu la connaissance des ponts suspendus.

C’est dans les récits des voyageurs et des savants qui ont visité la Chine, la Tartarie et l’Amérique, que les peuples modernes ont puisé les premières idées des ponts suspendus.

Les ponts des Sauvages étaient loin de présenter toute la garantie et toute la solidité désirables. Ils se composaient ordinairement de deux câbles, sur lesquels était place un léger plancher formé de bambous et d’herbes nattées. (Voy. fig. 7.)

  1. Les Frères-du-Pont formaient une confrérie religieuse qui ne se bornait pas à construire des ponts. Cette corporation avait pour but essentiel d’exercer l’hospitalité à l’égard des voyageurs, qu’elle secourait et protégeait en les recueillant dans des hôpitaux qu’elle édifiait auprès des passages des rivières. La construction des ponts n’était pour ces religieux qu’un moyen d’exercer la charité. Il est raisonnable de supposer qu’ils ont dû s’occuper de la construction de certaines routes par le même motif. Les frères hospitaliers établis à Paris au commencement du XIVe siècle, et qui logeaient les pauvres passants et les pèlerins, étaient une fraction de la congrégation hospitalière et savante des Frères pontifes, dont l’admirable charité rendait d’immenses services au commerce dans des temps où les chemins étaient infestés par des brigands, et où les négociants étaient durement rançonnés par les seigneurs féodaux, surtout au passage des ponts dont ils percevaient un péage. On peut consulter sur cette corporation le livre de M. Grégoire, ancien évêque de Blois, publié en 1818, et intitulé : Recherches historiques sur les congrégations hospitalières des Frères pontifes.
    (N. du D.)