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REVUE PÉDAGOGIQUE

il vivait sans cesse dans l’avenir. Tout problème posé par les événements lui suggérait des solutions nombreuses, et il se représentait avec une remarquable précision la multiplicité des conséquences que pourrait entraîner chacune d’elles : il pressentait les résistances, les hostilités, les concours, calculait les répercussions financières, escomptait l’effet probable sur l’opinion. Si administrer, comme gouverner, c’est prévoir, nul ne fut meilleur administrateur que Maurice Charlot.

La richesse de son imagination lui inspirait de la défiance à l’égard des solutions simplistes ; il avait trop conscience de la complexité des problèmes administratifs pour ne pas préférer les solutions qui reflètent cette complexité. Il ne reculait pas devant les plus imprévues et les plus audacieuses, au risque de scandaliser les esprits routiniers ou formalistes et de déconcerter les plus avertis. J’ai vu telle haute assemblée si surprise par la nouveauté d’un règlement élaboré par Maurice Charlot qu’elle était tout d’abord unanimement décidée à le repousser ; puis, après un examen attentif, reconnaissant que ce projet, en même temps que le plus ingénieux, était celui qui se modelait le mieux sur les réalités, elle l’adoptait unanimement sans y changer sinon un mot du moins une idée. Pouvait-on rendre un plus bel hommage à la force de sa pensée ?

Cette pensée était si ardente qu’elle supportait malaisément la tiédeur. Maurice Charlot s’irritait volontiers contre les lenteurs, les insuffisances, les maladresses qu’un vigoureux effort intellectuel eût pu éviter. L’accent avec lequel il défendait ses propres idées allait parfois jusqu’à l’âpreté. Ce serait manquer de respect à sa mémoire que de dissimuler un trait de caractère qu’il ne lui déplaisait pas de reconnaître. Ce serait faire de lui un éloge indigne de sa forte personnalité que de placer tous ses traits dans une même lumière qui, bannissant les ombres, effacerait tout relief. Mais la vivacité avec laquelle il s’exprimait parfois n’était inspirée par aucun sentiment d’ordre égoïste. Il eût été souvent de son intérêt d’être plus indulgent. Et il ne l’ignorait pas. Mais il croyait de son devoir de dire toute sa pensée, dût son intérêt personnel être ainsi sacrifié à l’intérêt de l’État.

Il me serait aisé, pour illustrer ce portrait, de cueillir, au cours des années pendant lesquelles Maurice Charlot fut mon compa-