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L’INSTRUCTION PUBLIQUE AUX ÉTATS-UNIS.

Les Américains ont raison de considérer cette double invasion comme un péril social. Ils ne cherchent pas à en dissimuler la gravité ; mais, parmi les hommes éclairés dont j’ai lu les écrits ou que j’ai entendus en Amérique parler sur la matière, je n’en ai pas rencontré un seul qui regrettât la suppression de l’esclavage ou qui songeât à opposer une barrière à l’immigration. Ils savent que l’esclavage était une plaie contagieuse qui corrompait le corps social et ils savent aussi combien de forces vives le courant de l’immigration, ralenti depuis quelques années par la crise commerciale, introduit dans l’économie de la nation américaine. Il faut savoir accepter le bien en appliquant le remède au mal qui parfois l’accompagne.

Le remède ici, c’est l’instruction et la moralisation. À l’armée de l’ignorance grossie de tant de recrues, les pédagogues demandent qu’on oppose une armée plus nombreuse d’instituteurs, qu’on bâtisse de nouvelles écoles, qu’on améliore les méthodes, qu’on vote des fonds et qu’on fasse le meilleur emploi possible des sommes mises par les pouvoirs publics à la disposition de l’enseignement.

Ils trouvent peu de contradicteurs. Les Américains ont conservé cette vieille opinion, transmise par leurs pères, que l’instruction est nécessaire à l’homme pour connaître sa religion et pour pratiquer ses devoirs moraux. Ils se sont formé en outre depuis longtemps cette autre opinion qu’une démocratie sans instruction est un État livré au hasard de résolutions inconscientes, exposé à toutes les surprises et à toutes les séductions, et qu’il ne peut y avoir de sécurité pour tous qu’autant que chacun des membres du corps social, appelé à exercer par ses votes une influence sur la destinée commune, possède un certain fonds de connaissances générales et peut