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REVUE PÉDAGOGIQUE

velle s’est élevée. La force a passé au nombre ; et ce n’est pas seulement dans l’ordre politique que le suffrage universel a modifié les conditions de la vie sociale. Les problèmes jadis réservés à une élite préparée à en peser les termes, à en mesurer les solutions, se sont dressés tout d’un coup devant des foules impatientes et inquiètes. L’esprit d’affranchissement a pénétré partout, confondant trop souvent les privilèges abusifs et les inégalités inévitables, les ambitions légitimes et les convoitises malsaines, la liberté et la licence, le pouvoir et le droit. Et, en même temps, de ces mouvements confus et mal réglés se dégage un sentiment plus vif de la dignité humaine, une conception plus exacte de la justice, tout un ensemble d’efforts qui témoignent d’une raison publique plus largement éclairée. De l’organisation de cette démocratie qui cherche laborieusement à discipliner ses forces dépend aujourd’hui la destinée du pays, de sa vitalité notre grandeur, de sa sagesse notre salut. « Ah ! quel n’eût pas été le sort de la France, » s’écriait en 1869 M. de Falloux adjurant ses amis de ne pas se dérober à l’occasion de reprendre leur place dans les conseils de la nation… « si, au cours du dix-huitième siècle, tous ceux qui avaient crédit dans l’État avaient fixé leurs regards autant sur l’avenir que sur le passé… Ayons le courage de l’a vouer : peut-être a-t-il dépendu de nous que ce siècle ne finît pas dans une sanglante orgie son rêve de philanthropique régénération, nous léguant à nous-mêmes cet héritage d’impuissance et de haine qui nous énerve et nous décime encore. » Et ailleurs, félicitant M. Augustin Cochin d’avoir compris ce sentiment, il écrivait : « Il n’est pas toujours licite et il est quelquefois coupable de se conduire uniquement par les inclinations de son esprit et de son cœur. Le devoir prescrit souvent de les sacrifier et de ne fermer de sa propre main aucune des issues qui s’ouvrent ou semblent s’ouvrir pour sauver un pays déjà si malheureux. » Quelle haute leçon de sagesse politique et de patriotique dévoue ment ! Quelle force pour la France qui a tant besoin qu’on l’aime, le jour où, serrés autour du gouvernement national, tous ceux qui ont le souci de l’avenir associeraient leurs lumières et leurs efforts pour travailler de concert à l’éducation de la démocratie et asseoir sur des institutions protectrices de toutes les libertés, respectueuses de tous les droits, l’unité morale du pays !