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DISCOURS DE M. GRÉARD À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Tel est le caractère de la polémique chez M. de Falloux que, même alors qu’on ne peut s’associer à ses idées, la pensée, en le suivant, s’élève. Le spectacle de sa vie privée n’est pas moins attachant. Il avait conservé à Angers une modeste maison presque cachée dans l’ombre de la cathédrale, son presbytère, comme il l’appelait, et, à l’automne, il parcourait volontiers l’Anjou, se donnant à d’anciennes et tendres relations de famille ou d’affection. Mais il semblait qu’il ne s’appartint qu’au Bourg-d’Iré, dans ces bois qu’il avait plantés, en face de ces horizons calmes et purs sur lesquels tant de fois son regard s’était reposé. Tout y était pour lui souvenir : les chemins creux, les gués du ruisseau, les pierres brunies de la carrière, le vieux chien de ferme qui jadis le suivait dans ses promenades. C’était sa petite patrie dans la grande. « La patrie, disait-il, s’inspirant d’une page d’un roman qu’il avait transcrite sur l’album de sa jeunesse, c’est cet aspect de tous les jours où s’encadrent toutes les sensations, où habitent tous les souvenirs et tous les rêves ; c’est le bruit du marteau qui est devenu habile à dire le nom de celui qui le frappe, le cri d’un marchand qui passe chaque jour à la même heure, la salutation affable des voisins, cette langue maternelle faite à la bouche et à l’oreille comme l’air à la poitrine, un pauvre qu’on connaît, un enfant qu’on a vu naitre, un serviteur qu’on aime… » Son cœur tenait au Bourg-d’Iré par tous ces liens comme par autant de racines. Une bibliothèque formée des chefs-d’œuvre du dix septième siècle auxquels il n’ajoutait guère que vos ouvrages, messieurs, la musique où il était juge exquis, la société intime d’une compagne digne de lui et d’une fille que la délicatesse de sa santé lui rendait encore plus chère, remplissaient ses loisirs. Il se plaisait à les partager aussi avec des amis que retenaient la sûreté de son commerce et le charme de ses entretiens solides, ornés, riches en souvenirs, dont ce que nous connaissons de ses Mémoires, écrits comme il devait causer, donne une idée si séduisante. Il les occupait surtout à multiplier les œuvres de son inépuisable bienfaisance. En renonçant à rentrer au Parlement, il avait donné au Bourg-d’Iré pour la construction d’une maison de vieillards le capital du revenu que lui coûtait le séjour de Paris. Plus tard, à la mort de Mme Swetchine, il n’avait cru pouvoir mieux honorer sa mémoire qu’en élevant sous son nom, à Segré,