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REVUE PÉDAGOGIQUE

un asile pour les malades. Mais il ne se considérait pas comme acquitté par ces deux grandes œuvres. Il répandait le bien, de sa main, au jour le jour. Il raconte dans ses Mémoires que, visitant la maison de Walter Scott, il se fit montrer la chambre de l’aimable romancier par la femme de charge qui avait vieilli au service de la famille. « Elle parut répondre avec un visible plaisir, dit-il, à mes questions empressées ; mais bientôt l’émotion la gagnant, elle s’interrompit pour contenir ses larmes et je ne puis oublier avec quel accent elle reprit après quelques instants de silence : Il était si bon pour tout le monde ! » Et il ajoute : « Qui n’envierait cette courte oraison funèbre ? » Cette oraison funèbre, je l’ai entendue au Bourg-d’Iré de plus d’une bouche. On ne sortait jamais de chez M. de Falloux les mains vides. Ses granges et ses celliers contenaient des provisions toujours préparées pour ceux que le besoin conduisait à sa porte. Chaque anniversaire, heureux ou triste, était l’occasion d’une libéralité. Un jour il apprend que les petites sœurs des pauvres d’Angers ont perdu dans une épidémie la bête avec laquelle elles alimentaient la table de leurs pensionnaires. Il se présente chez la supérieure. On annonce M. de Falloux, membre de l’Académie française : « Non, ma sœur, reprend il bien vite, je ne suis qu’un marchand de vaches et je vous amène ma meilleure laitière ; seulement, pour ne pas changer ses habitudes, je fournirai sa nourriture. »

Lorsque la mort, frappant coup sur coup, vint désoler ce foyer où le plaisir de faire le bien ensemble était tout le bonheur, M. de Falloux eut comme un redoublement d’activité charitable. Sa santé qui avait toujours été chancelante s’était raffermie. En même temps qu’il mettait la dernière main à ses Mémoires, il assurait l’avenir de ses fondations. Le premier avertissement du mal qui devait l’emporter le trouva prêt. Il avait marqué sa place auprès des siens et fait graver sur sa tombe le seul titre qu’il voulait conserver devant la mort, celui qu’il tenait de vos suffrages : « Il n’y aura plus, disait-il, que la date à ajouter. » Selon son vœu, aucun honneur ne lui a été rendu. Mais il a eu pour cortège tous ceux que, dans sa dernière pensée, sans doute, il a rassemblés autour de lui : les amis qui partageaient sa foi politique et ses chrétiennes espérances, l’Anjou en deuil, le Bourg-d’Iré en larmes.