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ARSÈNE DARMESTETER

par son Recueil d’extraits d’auteurs du XVIe siècle, ainsi que par sa Grammaire française, encore inédite, modèle de savoir et de méthode. Mais il n’avait pas seulement les qualités intellectuelles du maître de la jeunesse : il en possédait les qualités morales, modestie, dévouement, égalité d’humeur, amour des petits et des faibles. Il y avait en lui de l’instituteur. Aussi aura-t-il cet honneur que sa perte soit à la fois déplorée sur les hauteurs de la science et ressentie jusque dans les écoles primaires.

DISCOURS DE M. HIMLY

Messieurs,

La Faculté des lettres est encore sous le coup de l’émotion profonde qu’a causée à chacun de nous la fin tragique d’Abel Bergaigne ; et voilà que la mort, tout aussi imprévue et tout aussi cruelle, d’Arsène Darmesteter renouvelle notre deuil et redouble notre douleur. Singulière ressemblance de ces deux carrières brisées avant l’heure, et cependant glorieuses ! L’un et l’autre nous sont venus, à quelques mois de distance, de l’École des hautes études, où avait commencé leur jeune renommée ; tous deux ont immédiatement jeté, sur les enseignements nouveaux qui leur étaient confiés, un tel lustre que les pouvoirs publics n’ont pu refuser à nos instances la création, en leur faveur, de chaires magistrales en Sorbonne ; pour l’un et pour l’autre s’annonçait un long et brillant avenir, subitement anéanti contre toute attente ; à quelques mois de distance aussi, ils ont été enlevés à la science qu’ils honoraient et à la Faculté qui plaçait en eux ses plus belles espérances.

Arsène Darmesteter était né le 5 janvier 1846, à Château-Salins (Meurthe), de parents sans fortune, qui firent tous les sacrifices pour assurer à leurs enfants une instruction supérieure. Élevé à Paris dans une école spéciale du Consistoire israélite, où l’on menait de front les études hébraïques et les études classiques, il sut suppléer par son travail personnel à ce que l’enseignement classique y avait d’insuffisant, et fut bachelier à seize ans, licencié à dix-huit ans, tout en devenant un hébraïsant consommé. Il se destinait en effet aux études de la théologie juive ; mais ces études même le tournèrent vers la philologie romane. Frappé du grand nombre de gloses en français insérées par les commentateurs juifs du haut moyen âge dans leurs commentaires hébreux sur la Bible, il conçut le projet de restituer d’après ces gloses françaises, dissimulées sous des caractères hébreux, le dictionnaire de la langue française au XIe siècle, et dépouilla dans ce but, à Paris, à Londres, à Oxford, à Parme, à Turin, plus de trois cents manuscrits. Malheureusement, distrait par d’autres travaux, il n’a mis en œuvre que bien peu des précieux matériaux ainsi accu-