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REVUE PÉDAGOGIQUE

s’indigner les uns sont entrés à l’école de Saint-Cyr au titre indigène ; plusieurs sont entrés dans l’enseignement, et trois d’entre eux sont encore aujourd’hui professeurs d’arabe ; beaucoup d’autres ont fait des études de médecine, mais huit seulement ont conquis le grade d’officier de santé et cinq celui de docteur ; un plus grand nombre sont devenus interprètes, sous-officiers, employés de diverses administrations ; quelques-uns sont caïds ou cadis ; un enfin est entré il y a quelques années à l’École polytechnique, après avoir même obtenu un assez bon rang au concours d’admission ; il est aujourd’hui lieutenant d’artillerie. Parmi ceux-là un certain nombre ont adopté non seulement nos idées de peuple civilisé, mais aussi notre costume, notre manière de vivre ; plusieurs ont épousé des femmes françaises.

D’autres ont sollicité des places sans pouvoir les obtenir. Fiers de l’instruction française qu’ils avaient reçue, formant une exception parmi leurs coreligionnaires, ils s’imaginaient naïvement avoir des titres aux préférences de l’administration française. Faut-il tant s’en étonner ? Avaient-ils donc tort de croire que leur instruction leur servirait à se faire une carrière ? Et puisqu’aux musulmans instruits nous ne savons offrir que des emplois publics, comment pouvons-nous nous étonner qu’ils en sollicitent ? N’y a-t-il pas d’ailleurs, à ce mal, d’autres remèdes que la suppression de l’instruction ?

Plus de la moitié de nos élèves des lycées et collèges sont retournés dans leurs familles. Ils y ont repris nécessairement des habitudes héréditaires. L’éducation française ne peut être féconde pour un indigène que s’il a, par sa situation, des relations de chaque jour avec des gens élevés comme lui. Elle n’est d’aucun profit pour ceux qui retombent dans l’isolement au milieu de leurs tribus.

Il y a près de dix ans qu’un inspecteur général de l’instruction. publique, M. Foncin, avait constaté le mal et avait indiqué le remède.

« Il est très exact, écrivait-il, que 50 % environ de nos élèves du lycée d’Alger reprennent peu à peu, au sein de leurs tribus, les habitudes et, en apparence au moins, les préjugés de leurs ancêtres. Comment en serait-il autrement ? Ce serait miracle en vérité qu’un jeune homme replongé tout à fait dans la société barbare qu’il avait quittée, mais qu’il n’avait jamais perdue de vue (ne fût-ce que par des séjours annuels à l’époque des vacances), y conservât seul parmi tous les siens une originalité artificiellement acquise, qu’il résistât indéfiniment aux sollicitations du climat, de l’hérédité, aux séductions de l’exemple, à l’empire plus puissant encore du respect humain. Il n’est même pas surprenant que plusieurs, pour se faire pardonner aux yeux de la foule une éducation qui peut paraître une sorte d’apostasie, se croient obligés d’affecter l’intolérance et le fanatisme. Ces exemples ne prouvent rien contre l’éducation de la race ; ils montrent simplement que l’individu, abandonné à lui-même dans un