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L’ENSEIGNEMENT CHEZ LES INDIGÈNES MUSULMANS D’ALGÉRIE

nous offre un problème bien plus délicat et compliqué que celle des garçons.

L’infériorité de la femme chez les Kabyles est, à certains égards, plus marquée encore que chez les Arabes. Chez les Arabes et les Cheurfa, le Koran, en sa qualité de loi civile, leur assure une part dans les héritages : nous avons vu que le kanoun des montagnards les exclut complètement.

L’humiliation pour la femme kabyle commence au jour même de sa naissance. Le père, s’il lui naît un fils, fait un présent à l’accouchée : il lui donne un bijou qui devient pour elle une marque d’honneur. S’il lui naît une fille, il ne donne rien. La mère qui n’a que des filles n’est pas une mère. Elle n’en obtiendra jamais les privilèges.

Quant à cette petite malheureuse qui vient d’ouvrir les yeux à la lumière, son père ne la considère guère plus que comme le croît de son ânesse, de sa vache ou de sa brebis. Dès ce moment il calcule à qui et combien il la vendra.

Le mariage d’une jeune fille, dans la montagne, est une vente, en effet une vente au plus offrant. Ni elle ni sa mère ne sont consultées. Le père seul a le droit de conclure l’affaire. Bien plus, si le père est mort, ce droit passe au grand-père, aux oncles, et successivement à tous les parents de la ligne masculine, finalement à un tuteur nommé par la djemáa du village.

Le prix de la vente consiste toujours en une somme d’argent. Cela s’appelle d’un nom significatif : thoutchith, « le manger ». Le vendeur mange sa fille.

Le savant général Hanoteau nous renseigne sur les prix courants de son temps (1867) : « J’ai vu des femmes payées 75 francs et d’autres 1,200 francs ; mais ce sont là des limites extrêmes ; le prix ordinaire est de 200 à 500 francs. La valeur marchande des femmes est soumise aussi à des mouvements de hausse et de baisse. Depuis la soumission complète de la Kabylie à la France, le prix moyen des femmes a sensiblement augmenté. »

De même que l’Harpagon de Molière exige de son futur gendre qu’il lui paie un habit pour la noce, le kanoun octroie au père kabyle le droit de réclamer des provisions en nature, telles que viande, grains, figues, etc.