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plutôt attention, on l’a souvent remarqué, à ce qui est rare, étrange, qu’aux objets familiers, et par suite la vérité nous échappe dans bien des cas. De plus, il nous faut d’ordinaire, pour proclamer une proposition, en connaître toute l’importance, et avec la direction prise, comme nous l’avons vu, par la spéculation, les hommes ne pouvaient guère soupçonner la fécondité de ce principe, qui semble, au premier abord, un pur truisme ; aussi l’a-t-on laissé sommeiller, « sans se douter de sa puissance, sans remarquer qu’il avait une sublimité morale plus redoutable, dit M. Ferrier, que la redoutable magnificence des cieux. »

Le moi est donc le summum genus de la connaissance ; il doit remplacer l’ens de la logique et de la fausse ontologie. Nous l’obtenons par une généralisation toute différente de la généralisation ordinaire. Il ne s’agit pas, en effet, de l’universel dans l’être, mais bien de l’universel dans la connaissance, et notre généralisation, si l’on peut ainsi parler, est purement épistémologique. Cette généralisation est bien plus complète que celle des logiciens ; aucun des termes génériques : arbre, homme, etc., n’approche de l’universalité exprimée par le mot moi ; les premiers expriment aussi bien des différences que des ressemblances, le dernier marque le trait suprême de ressemblance qui unit toutes nos connaissances. L’expérience seule ne nous permettrait pas de nous élever à ce haut degré de généralisation ; il manquerait toujours l’universalité absolue. Au-dessous de ce genre suprême se classent les autres jusqu’à l’individu. Si je regarde un chêne, par exemple, je puis distinguer dans la connaissance concrète que j’en ai, ces quatre éléments inséparables : 1° le genre le plus élevé de toute connaissance, moi-même ; 2° un genre encore inférieur, arbre ; 3° un genre encore inférieur, chêne ; 4° enfin, le spécimen particulier, tel chêne. Cet arbre seul, en particulier, en lui-même, serait inconnaissable. Le vulgaire affirme ainsi que nous connaissons en apparence moins que nous ne connaissons en réalité.

La théorie des idées de Platon peut être considérée comme une tentative pour rétablir l’élément toujours présent et toujours négligé. Mais cette tentative resta infructueuse : Platon se méprit sur le summum genus.

La seconde partie de notre proposition, celle qui se rapporte à la matière, paraît avoir été plus familière aux philosophes de l’antiquité. Pour eux la matière est un je ne sais quoi d’inachevé, d’incomplet, de changeant. Mais ils ne distinguent pas mieux ici l’ordre de la connaissance de l’ordre des êtres ; est-ce l’existence même des choses qui est vague, qui s’évanouit pour reparaître, ou la connaissance que nous en avons ? Il est peu probable cependant qu’ils parlent