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chologues pour lesquels la substance est un substratum occulte, qui doit soutenir les qualités, et en réalité ne soutient rien.

Il est arrivé pour la distinction de la substance et des phénomènes, dans l’histoire de la philosophie, ce qui est arrivé pour d’autres distinctions : on l’a renversée avec le temps. Les anciens philosophes, Platon et ses prédécesseurs prenaient ces mots dans le sens que nous leur donnons ici. Phénoménal (φαινόμενον) était alors synonyme de sensible (αἰσθήτον) ; ils ne pouvaient être l’un et l’autre objet de connaissance tant qu’ils n’étaient pas complétés par un second élément (εἶδος ou ἰδέα). Substantiel (τὸ ὄν) était synonyme d’intelligible (νοήτον) et ces deux termes désignaient la connaissance complète. C’est donc la même définition de part et d’autre que celle que nous proposons dans notre système. Mais il reste quelque obscurité dans ces vieilles doctrines : le mot τὸ ὄν est pris en deux sens, un sens épistémologique et un sens ontologique. Toutefois il sert aussi à désigner, non plus la synthèse de la connaissance, mais seulement un élément de cette synthèse, l’élément universel, le sujet. Nous pouvons apprécier tout le tort que cette équivoque a causé, dans les âges suivants, aux études philosophiques. Elle s’explique cependant et par l’impossibilité où les anciens se sont trouvés, nous l’avons dit, de distinguer clairement l’épistémologie de l’ontologie, l’ordre de l’existence de celui de la connaissance, et aussi par l’importance de l’élément universel, du sujet. C’était aux commentateurs à faire disparaître cette obscurité au lieu de l’accroître. N’y a-t-il pas lieu de croire que les Institutions de métaphysique ont rétabli, dans toute sa vérité, la théorie que les anciens avaient esquissée ?

De cette fausse interprétation de la doctrine platonicienne, a découlé cette opinion que l’intellect ne connaît point la substance, même en partie, par les sens, qu’il y a une faculté supérieure pour atteindre la pure substance, qu’il faut par suite dédaigner les sens. « Magni est ingenii revocare mentem a sensibus », dit Cicéron, et il se croit un fidèle disciple de Platon. Mais, en vérité, c’est plus facile à dire qu’à faire, et en supposant même que nous y parvenions, à quel résultat serons-nous arrivés ? Probablement à une glorieuse intuition de la prétendue substance platonicienne, des idées ! Quel homme, fût-il Cicéron lui-même, a-t-il contemplé cette sphère suprasensible ?

La véritable manière de détourner son esprit des choses sensibles n’est pas de se perdre dans le vide d’une métaphysique chimérique : c’est de considérer que nous ne connaissons des choses intelligibles et contradictoires par elles-mêmes qu’autant qu’elles se présentent