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en abrégé et en petit « cette genèse de la conscience esthétique » qui doit apparaître en grand dans l’histoire des systèmes.

À chacun des degrés ou des modes de cette connaissance correspondent des classes d’esprits différents. Il en fait la description avec soin et nous en trace le portrait. Il relève leurs travers et leurs défauts dans la manière d’envisager le beau et l’art, de juger ou d’apprécier ses œuvres. Sa verve humoristique nous semble ici s’exercer beaucoup trop pour un historien. Il ne fallait pas, au lieu d’une analyse, nous donner une satire, quelquefois une caricature. — Quoi qu’il en soit, voici comment il procède. D’après la rubrique ou la division posée plus haut, il établit trois catégories où se trouvent rangés, dans un ordre qu’il croit rigoureux et logique, tous les types divers qui répondent à ces degrés. Ainsi dans la première qui est celle du jugement par sensation (Empfindung-urtheils), nous voyons figurer le laïque et l’artiste, l’amateur, le connaisseur, le collectionneur, le marchand et finalement l’enchérisseur ou (le commissaire-priseur), (Auctionator). Celui-ci forme la transition à la catégorie suivante, celle où dominent le jugement réfléchi et le raisonnement (Vertandsurtheil). Là nous voyons rangés le chroniste, l’érudit en fait d’art, le philologue, l’antiquaire et l’historien. — Puis l’histoire nous mène au point de vue supérieur où commence la troisième catégorie, celle du Jugement spéculatif et de la raison (Vernunf-urtheil). Mais nous n’arrivons pas tout de suite au plus haut degré de la connaissance vraiment philosophique. Nous passons par les degrés inférieurs de l’esthétique spéculative, où l’imagination se mêle encore à la raison, l’esthétique du beau langage (Schönrednerei) et l’esthétique éclectique. On arrive enfin, après avoir gravi tous ces degrés, au sommet de l’échelle. Le point de vue définitif ou suprême, c’est celui de la vraie spéculation philosophique. À ce degré appartiennent les vraies productions, les théories supérieures et les systèmes, dont l’histoire critique nous mettra sous les yeux le tableau successif, les théories de Platon, d’Aristote, de Kant, de Hegel, etc.

Il faut en convenir, une semblable introduction nous parait, à nous autres Français, toujours un peu laïques ou profanes, assez singulière. Nous la jugerions un hors-d’œuvre pour le moins inutile. Nous aimons à être introduits sur-le-champ dans le temple sans nous arrêter dans le vestibule. L’esprit allemand, hégélien surtout, n’a pas cette impatience et se plaît aux longs détours. Ne soyons pas trop difficiles. La chose admise, on ne peut nier que l’auteur n’ait montré beaucoup de sagacité, de justesse, de verve et d’esprit dans ses analyses et ses critiques. Tous ces types avec leurs travers et leurs ridicules, le collectionneur, le philologue, l’érudit, etc., sont bien