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analyses. — p. janet. Les Causes finales

sico-théologique, nous ne savons pourquoi) en laisse subsister l’essentiel, à savoir que l’ordre suppose l’intelligence. Mais si l’on ne peut contester que la finalité du monde suppose un principe spécifique, ce principe est-il nécessairement extérieur à la nature ? N’est-il pas de l’essence des choses de se diriger spontanément vers certaines fins ? Et avant d’aborder cette question, la finalité de la nature est-elle réelle et objective, ou n’est-elle pas au contraire une forme de notre esprit, une disposition subjective de notre sensibilité ?

Kant a pensé que la loi de finalité était une hypothèse naturelle, une manière de se représenter les choses, mais non pas un des principes constitutifs de l’expérience et de la science ; en l’appliquant, la faculté de juger se donne une loi à elle-même, mais elle ne l’impose pas à la nature ; rien ne noms autorise donc à supposer que l’hypothèse des causes finales ait un fondement objectif dans la réalité, et qu’un entendement, qui pénétrerait jusqu’au principe même de la nature, serait obligé de s’y conformer. — Mais, remarque M. Janet, une opinion n’est pas nécessairement une fiction. Alors même que la finalité et sa cause ne seraient admises qu’à titre d’opinions, on ne saurait en conclure qu’elles sont uniquement des règles conventionnelles pour l’usage de l’entendement ; il y aurait à en déterminer le degré de probabilité par la confrontation avec les faits ; mais on ne serait pas autorisé à les transformer en symboles figuratifs, sans rapport avec la réalité. La loi de finalité est une induction analogique ; à ce titre elle a quelque chose de subjectif mais en même temps elle est objective « dans la portion où elle représente les faits. » Sur les traces de Kant, un éminent philosophe contemporain, M. Lachelier, a assis la loi de finalité sur la sensibilité, et non sur l’entendement. — Mais pourquoi les choses répondraient-elles aux besoins de notre sensibilité ? « Comment les lois du mouvement, pour plaire à notre entendement, se contraindraient-elles à former des touts composés et harmonieux ? » « Ou bien l’on admet que le mécanisme ne peut absolument pas, malgré la théorie des chances heureuses, produire un tout ordonné : dès lors, comme le monde en réalité nous a toujours présenté jusqu’ici un tout de ce genre, il faut bien reconnaître qu’il y a effectivement et objectivement un principe de finalité dans l’univers ; et la pensée unie ou non à la sensibilité, ne peut que le reconnaître et ne le constitue pas. Ou bien au contraire on soutient que c’est la pensée liée à la sensibilité qui porte avec elle le principe de la finalité ; dès lors comment la nature peut-elle et doit-elle s’accorder avec la pensée, de manière à produire, pour lui plaire, les innombrables prodiges d’appropriation dont se compose l’univers ? »

Mais Kant avait ouvert une autre voie dans laquelle Hegel devait s’engager plus avant que lui. Il avait distingué deux espèces de finalité : la finalité externe, relative, hypothétique, subordonnée, et la finalité interne, où toutes les parties sont réciproquement moyens et fins. De ce que la finalité véritable est interne, Hegel conclut qu’elle est imma-