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nente. Pour lui le monde est un organisme réalisant son but en se réalisant lui-même et produisant par évolution les moyens et les milieux de sa réalisation. Ainsi entendue, la finalité de la nature n’est plus comparable à la finalité consciente et réfléchie ; elle ne suppose pas une cause intelligente et active qui pose à l’état d’idée la fin à réaliser, et y coordonne les moyens ; mais elle est à elle-même son but, sa cause et son moyen. — M. Janet ne rejette pas l’idée d’une finalité immanente de la nature, mais il fait observer que conclure de la finalité immanente à une cause immanente de la finalité, c’est confondre deux problèmes distincts, ou dépasser les prémisses. A-t-on prouvé que l’immanence des fins exclut l’idée d’une cause transcendante de la finalité ? En aucune manière. La théologie transcendante n’est pas liée d’une façon indissoluble à l’idée d’une finalité externe et n’est pas en contradiction avec l’idée d’une finalité interne. De même il n’est pas contradictoire d’admettre qu’une « cause supramondaine ait produit une œuvre qui manifeste une finalité interne et qui même réalise par ses propres forces cette finalité. » À parler rigoureusement, tout système implique en une certaine mesure l’immanence et la transcendance de la cause absolue ; l’hégélianisme n’est donc pas autorisé à conclure de l’immanence relative de la finalité naturelle à une immanence absolue, qui ne peut se comprendre que par son rapport à un terme transcendant.

Nous sommes maintenant en face du vrai problème : la cause suprême de la finalité est-elle une cause intelligente, un entendement ? L’école de Schopenhauer se la représente sur le type de l’instinct, et la suppose par conséquent dépourvue de conscience et d’intelligence. Mais quel est l’avantage de cette doctrine sur celle qu’elle prétend remplacer ? Dans un cas comme dans l’autre, on explique l’activité créatrice de la nature, en se la représentant sur le type de l’un de ses effets : l’instinct ou l’intelligence ? Laquelle de ces deux analogies est la plus lumineuse ? Nous ne connaissons directement que doux des modes d’action de la nature : le mécanisme et l’intelligence. L’instinct ne se comprend pas par lui-même ; il faut, pour l’entendre, ou le réduire au mécanisme ou le rapporter à l’intelligence. Alors pourquoi le choisir comme type de la finalité, alors qu’il est lui-même le cas de finalité le plus incompréhensible ? On ne saurait comprendre qu’une activité atteigne un but, sans se le représenter au moins d’une manière inconsciente. La finalité de l’instinct ne saurait donc être entendue sans la finalité intentionnelle. Ce n’est pas que celle-ci ne soulève de graves difficultés. On a objecté en particulier que souvent les tendances de la nature n’étaient pas accompagnées d’une claire représentation des buts, et on en a conclu que la finalité est immanente et inconsciente. Mais qui empêche d’admettre que cette finalité immanente est dérivée et non primitive, que la cause suprême a déposé dans les choses une certaine force de spontanéité et d’énergie qui se développe suivant une loi de la nature, sans être pour cela la cause d’elle-même et sans