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M. Reich semble oublier la puissante impulsion que l’hégélianisme a donnée à toutes les sciences morales et sociales : c’est la doctrine de Hegel qui a habitué les savants allemands à considérer l’humanité comme un tout, comme une force qui se développe suivant des lois fixes et fatales : on doit à cette influence l’apparition simultanée de sciences telles que la mythologie comparée, la philologie comparée, etc. Toutes ont été, sinon créées, du moins constituées scientifiquement et méthodiquement par des Allemands (Bopp, Max Muller…) : il faut attribuer de même à l’impulsion hégélienne la naissance d’une Psychologie des peuples (Völkerpsychologie), science qui n’a pas encore dépassé les frontières de l’Allemagne, mais qui est très-cultivée en ce pays, puisqu’une revue spéciale lui est consacrée. M. Reich s’adonne particulièrement à cet ordre de recherches : il ne devrait donc pas être trop sévère pour le mouvement philosophique qui a fait éclore la science à laquelle il consacre ses travaux. Qu’il le sache ou non, les études qu’il a faites dans les universités germaniques lui ont été utiles : la devise même qui sert d’épigraphe à son livre ne serait pas désavouée par un disciple de Hegel : « Omne hoc quod vicies, unum est, membra sumus corpori magni » (Senèque). Ainsi M. Reich doit beaucoup à ces philosophes qu’il renie et méprise. C’est que dans ces oscillations continuelles qui font pencher tour à tour la philosophie vers la synthèse ou l’analyse, vers le matérialisme ou l’idéalisme, les successeurs prennent inconsciemment et instinctivement ce qu’il y a d’utile et de salutaire dans la doctrine des prédécesseurs qu’ils combattent. C’est là, à vrai dire, ce qui permet le progrès humain.

A. Ephraïm.


Kirkman, M. A. F. R. S. Rector of Croft, near Warrington, etc. Philosophy without assumptions. — (London, Longmans et Co 1876.)

Quand on a parcouru la « Philosophie sans hypothèses » en y cherchant simplement l’idée philosophique qui y domine, on s’étonne de l’attention et des éloges démesurés que cet ouvrage a reçus de l’autre côté de la Manche. Le titre même montre que l’auteur, — un mathématicien, paraît-il, — ignore que toute science, la philosophie aussi bien que les mathématiques, repose sur un certain nombre d’hypothèses ou axiomes ; et l’idée qu’il est possible de construire un système philosophique sans hypothèses est la seule conception originale que nous, ayons pu découvrir dans son ouvrage. Car, , pour le reste, Descartes et Fichte paraissent avoir été mis largement à contribution ; que l’auteur en soit conscient ou non, il y a dans son livre des coïncidences bien singulières avec l’auteur du « Bestimmung des Menschen. » Quant à son titre, on va juger comment il le réalise. Je pense, donc je suis ; je possède en outre le sentiment de l’énergie que je déploie, c’est-à-dire, je veux. C’est ma conscience qui me le révèle. Les entraves que rencontre ma volonté, me démontrent l’existence du monde extérieur ; le