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analyses. — kirkman. Philosophy without assumptions.

sens musculaire, « cette pitoyable fiction » des matérialistes, n’y est pour rien. M. Kirkman établit ensuite l’existence d’autres êtres d’une manière triomphante, à l’aide d’un syllogisme où son postulat de « vérité fondamentale de la raison, » qui est sa majeure, suppose précisément ce qui est en question. De l’existence d’autres êtres naît l’obligation. En d’autres termes, cette philosophie sans hypothèses se réduit à ceci : « Je pense, je suis, je veux, je dois. » Il ne s’arrête pas là. Il prouve également la religion et le déisme. « Car l’infini est ma cause, etc… »

À dire vrai, nous ne sommes pas sûr que l’auteur attache lui-même grande importance à son système. Il est probable qu’à ses yeux, comme à ceux de ses admirateurs, la partie polémique est réellement la seule importante. Et là, on doit avouer que, si le fond de ses critiques de Hume, Mill, etc… n’est pas nouveau, la forme est bien à lui. Et comme après tout, c’est le seul trait caractéristique du livre (outre le titre), nous croyons en toute justice, devoir reproduire quelques-uns de ses sarcasmes. Ainsi, d’après lui, tous les arguments de Hume ne sont qu’une « farce métaphysique », un « escamotage, un faux avec dessein et préméditation ». Les définitions de Kant sont des « tourtes métaphysiques à la bourbe. » John Stuart Mill a commis également une « félonie philosophique avec dessein et préméditation. » Quant aux vivants ils ne valent pas mieux. Ce sont des « machines qui prétendent n’être influencées que par l’observation et l’expérience, mais ont abandonné leur métier et se sont, de manière ou d’autre, transformées en machines sceptiques qui ne croient et n’enseignent que de misérables fictions. » Et pourtant « ils ne sauraient être des machines, car aucune machine ne pourrait offrir toutes les inconséquences et les contradictions qui caractérisent leurs travaux. » Tout ce que dit ou écrit Tyndall n’est que « galimatias, » « hâblerie de sectaire ; » « il fait des grimaces de hiérophante et de mystagogue. » Herbert Spencer « s’imagine avoir trouvé la pie au nid, » (finder of a huge mare’s nest), etc.[1].

On ne s’étonnera pas que l’auteur, avec un caractère aussi aimable, ne condescende presque jamais à s’enquérir des doctrines qu’il attaque, et que quand il le fait, il ne les comprenne pas. Il nous paraît tout naturel, par exemple, qu’il ne puisse saisir la portée des arguments de H. Spencer au sujet du libre arbitre. Mais il est moins excusable qu’il lui attribue des opinions, par inférence, — qui probablement n’existent que dans l’imagination de l’auteur. Ainsi, pour illustrer son argument, M. H. Spencer parle d’un corps qui serait soumis dans l’espace à l’at-

  1. L’auteur se plaît aux plaisanteries lourdes et d’un goût douteux sur les « discussions abstraites en X-ance, Y-té, Z-ation » sur Kant « avec ses mots ung, heit et keit » et sur les « Évolutionnistes avec leur grand Sticktogetherafions de Stiektogheterness. » Cette dernière plaisanterie est intraduisible en français. Voici d’ailleurs la phrase textuelle qui sert à définir l’évolution : « Evolution is a change from a nohowish untalkaboutable all-alikeness to a somehowish and in-generaltalkaboutable not all-alikeness by continuous somethinggelsification and sticktogetheration. »