Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, II.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
227
delbœuf. — logique algorithmique.

de Saturne ? Ce jour-là, la géologie aurait-elle cessé d’être la géologie ? Dans la chimie, qu’est-ce que les molécules, et les atomes, et leur atomicité, et leurs affinités ou leurs répugnances ? des abstractions. Et l’atome monoatomique de l’hydrogène, biatomique de l’oxygène, triatomique de l’azote, tétraatomique du carbone ? des abstractions encore, comme les carrés, les cercles, les paraboles ? Et, pour passer aux sciences biologiques, est-ce autre chose qu’une abstraction que ce protoplasme qui est indifférent, susceptible de se transformer en tout, mais cependant doué de mémoire, et qui est la cause que l’enfant ressemble à son père ?

Mais admettons que les sciences mathématiques aient pour objet des abstractions, tandis que les autres sciences s’occuperaient des choses elles-mêmes. N’est-on pas alors tenu de montrer qu’il y a un rapport étroit entre l’abstraction et le symbolisme, et essaie-t-on de le faire ? Enfin, quant au sujet que nous traitons, pourquoi la logique, science abstraite s’il en fut, n’a-t-elle pas encore inventé des signes qui permettent de réduire en formules un raisonnement ?

En voilà assez, ce semble, pour faire justice de cette explication.

L’objet des mathématiques serait-il le possible, alors que le reste des sciences s’occuperait du réel ? C’est encore là une distinction spécieuse. On dit que la droite, le cercle, le carré sont des possibles, que c’est à ce titre qu’ils sont parfaits ; qu’il n’y a dans la nature ni droite, ni cercle, ni carré ; que les figures naturelles sont imparfaites, qu’elles approchent seulement des figures parfaites de la géométrie. Nous aurons plus tard l’occasion de scruter l’opposition logique du possible et du réel, et de montrer, par voie interprétative, ce que cette distinction a de légitime. Mais, pour le moment, remarquons que toutes les idées, même celles qui ont la prétention d’être le plus réelles, le plus concrètes, expriment toujours simplement des possibles. L’idée que j’ai d’un animal, d’une plante, d’un minéral, l’idée même que je me fais d’un objet fabriqué, d’une table, d’une chaise, d’un billet de banque ou d’une pièce de cinq francs, toutes ces idées ne sauraient être réalisées, sans y mêler autre chose que ce qu’elles contiennent, sans y ajouter ce qui fait qu’une réalité n’est pas une simple conception, qu’une pièce de cinq francs en argent n’est pas la même chose que l’idée d’une pièce de cinq francs.

De là résulte que toute figure pensée, non pas seulement la droite, le cercle ou le carré, mais la forme la plus bizarre, la plus compliquée, ou la plus exactement calquée sur la réalité, ne sera encore qu’un possible non réalisé ; et, réciproquement, toute réalité, si simple qu’on la suppose, sera entièrement différente de l’idéal. Lorsque je trace un cercle avec un compas, j’ai un semblant de cercle,