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et un autre cercle tracé avec le même compas également ouvert ne sera pas identique au premier.

Mais le cercle, le carré, l’ellipse, sont des figures parfaites ; les figures naturelles ne font qu’imiter les types idéaux. N’est-ce pas plutôt le contraire ? N’est-ce pas nous qui sommes incapables de saisir l’inépuisable variété des formes que présente la nature ; n’est-ce pas nous qui sommes impuissants à trouver des mots et des formules pour exprimer et fixer les moments des transformations incessantes que subissent les phénomènes réels de l’espace ? La Terre décrit une ellipse autour du Soleil. Que ce terme ellipse est équivoque, approximatif, insuffisant ! Peut-il nous donner la moindre intelligence des sinuosités sans nombre et indéfiniment variables de la route du centre de gravité de la Terre dans l’étendue des cieux ? Et nous dirons, après cela, que l’ellipse que nous concevons est parfaite, que l’orbite parcourue par notre globe est imparfaite ! Quel non-sens ! Nous nous servons du terme ellipse, parce que nous n’avons ni dans notre langage ni dans nos formules assez de ressources pour trouver le mot ou l’équation convenable. Lorsque la mine fait voler une roche en éclats, il n’y a pas deux fragments semblables, et pourtant chacun de ces fragments exprime par sa figure d’une manière parfaitement adéquate, la résultante de toutes les forces naturelles qui ont agi depuis le commencement du monde. Y aurait-il par hasard dans le cerveau de l’homme pour ces sortes de fragments une figure parfaite, idéale, typique ?

Et puis, cela même étant accordé, qu’est-ce que cela prouverait pour établir une relation quelconque entre les possibles et les notations ?

Beaucoup de penseurs disent enfin que ces sciences sont a priori, qu’elles sont un développement de certaines idées qui seraient innées en nous. Kant modifia cette hypothèse ; il soutint que c’étaient des sciences synthétiques fondées sur les formes mêmes de la sensibilité, à savoir l’espace et le temps. Qu’ils parlent de formes de la sensibilité ou de formes de la raison, pour ces philosophes, les mathématiques, ou du moins certaines branches telles que l’arithmétique, l’algèbre et la géométrie, nous sont données avec notre être, et c’est même cette circonstance qui explique le caractère universel, éternel, ou ce qu’on appelle en termes d’école, l’apodicticité de leurs théorèmes. Quel rapport cependant y a-t-il entre l’apodicticité et l’apriorité ? tout ce qui est apodictique est-il a priori ? ce qui n’est pas apodictique ne peut-il être a priori ? tout ce qui est a priori est-il apodictique ? Ce sont là toutes questions pour lesquelles on n’a pas de réponse. Si d’ailleurs les mathématiques étaient a priori, les bases