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L’erreur de cette doctrine provient de ce que ses adeptes se font une idée fausse de ce que doit être la démonstration. Pour eux, démontrer une proposition, c’est faire voir qu’elle est contenue comme cas particulier dans une proposition plus générale. Or, s’il en était ainsi, et si l’espèce avait besoin de démonstration, elle serait indispensable à plus forte raison pour le genre. Si, pour me prouver que Pierre est mortel, vous recourez à cette affirmation que tous les hommes sont mortels, vous énoncez une proposition qui, à mes yeux, est encore plus sujette à caution que la première ; en effet, outre qu’elle renferme celle dont je doute, à savoir que Pierre est mortel, elle en implique encore une infinité d’autres tout aussi discutables.

On se trompe donc sur l’essence même de la démonstration ; c’est, au contraire, l’espèce qui démontre le genre, et c’est pourquoi on peut tout démontrer, et qu’en conséquence, on doit chercher à tout démontrer. Quand je vois tous les hommes que je connais mourir tour à tour, quelques-uns par l’effet de la maladie, d’autres par accident, d’autres par l’âge, je me demande s’il ne serait pas essentiel à l’homme d’être sujet à la mort, et je regarde provisoirement, hypothétiquement comme avéré que les hommes sont mortels. Si cette proposition est vraie, il s’ensuit que Pierre, actuellement vivant, doit mourir tôt ou tard ; et le jour où cette conjecture se vérifie, ma croyance en la vérité de la proposition générale se fortifie, et elle se confirmera à mesure que je verrai mourir les autres hommes. Il arrive un moment où cette croyance est chez moi tellement puissante, que je n’ai pas besoin d’attendre l’événement pour être certain de la nécessité de son arrivée. Et telle est si bien l’origine de cette certitude que, si Pierre présentait un cas extraordinaire de longévité, si, après deux cents, trois cents ans, il était encore en vie et plein de vigueur, on se mettrait à douter de cette affirmation. Il n’est point de vérité actuellement si bien établie qu’on ne remette en question, si, par un sophisme quelconque, on en tire une conséquence fausse.

Passer du particulier au général par voie d’induction, redescendre du général au particulier par voie de déduction, voilà le procédé constant de l’esprit humain. Quant à la généralisation, elle se fonde sur l’analogie qui est à son tour une espèce d’induction par laquelle on est porté à attribuer à un sujet tout l’ensemble des qualités que possèdent d’autres sujets, parce qu’on lui en reconnaît quelques-unes. C’est par analogie que nous faisons des étoiles dites fixes les centres de systèmes planétaires semblables à celui dont la Terre fait partie. Si cette généralisation est légitime, il s’en suit, par voie déductive,