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uns c’est une science expérimentale fondée sur les notions sensibles de mouvement ou de vitesse. Les postulats de cette science, par exemple, qu’un corps ne peut se mettre de lui-même en mouvement ou en repos, semblent des propositions empiriques. Les notions de mouvement et de vitesse ne sont ni plus ni moins d’origine sensible que celles d’espace et de distance, et la proposition citée n’est pas plus empirique que celle-ci : Une ligne droite renfermée dans un espace limité finira par en sortir si on la prolonge suffisamment. La mécanique est donc arrivée, elle aussi, à la période de consécration ; seulement, en comparaison de la géométrie, voilà moins de temps qu’elle y est parvenue. Ses principes ont même, dans ces dernières années, subi une modification assez notable ; on ne définira plus aujourd’hui la force une cause de mouvement ou d’équilibre. Et si l’on range la mécanique parmi les sciences mathématiques prétendument rationnelles, pourquoi ne pas y faire figurer la mécanique céleste qui n’est qu’une application de la mécanique ? puis certaines parties de la physique qui en sont une autre application ? et où s’arrêter ?

On le voit donc, les sciences, au point de vue où la question est placée, ne diffèrent que par leur degré de développement. Un jour, les principes de la chimie seront tellement certains que les cornues et les alambics deviendront inutiles pour décrire les combinaisons et leurs propriétés, de la même façon qu’aujourd’hui, un aveugle connaissant le calcul, peut expliquer le phénomène de l’arc-en-ciel. Les mathématiques sont des sciences qui ont perdu leur partie expérimentale désormais superflue, la chimie est une science qui n’a pas encore sa contre-partie rationnelle, purement théorique[1].

Une objection se présente sans doute à l’esprit du lecteur. Si la certitude des principes s’accroît à mesure que les faits d’expérience les confirment, il s’ensuit que cette certitude peut être sans doute très-grande, mais n’est jamais pleine, absolue ; par conséquent, toute

  1. Il y a d’autres choses à dire sur ce sujet. On soutiendra par exemple que les lois mathématiques sont universelles : en effet je suis certain que, si l’on trace un triangle dans la planète Mars, ce triangle aura la somme de ses angles égale à deux droits, tandis que je ne suis pas sûr qu’il y croisse des arbres, ni surtout que les arbres y soient des sapins ou des chênes analogues aux nôtres. — Mais, comme je l’ai fait voir dans mes Prolégomènes de la Géométrie, cette différence provient de ce que la notion de l’espace géométrique est différente de celle de l’espace physique. Celui-ci est conçu comme étant partout différent, et celui-là comme étant partout le même. C’est pour une raison semblable que, d’un côté, les lois mathématiques sont éternelles, tandis que, de l’autre côté, les événements de l’histoire se succèdent toujours différents. En mathématiques, le temps se compose d’instants identiquement équivalents ; en histoire, le temps représente une série d’instants toujours dissemblables.