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delbœuf. — logique algorithmique.

les méthodes ; et aujourd’hui notre assurance est si ferme que le plus souvent nous ne croyons pas. devoir soumettre au contrôle de l’expérience les déductions auxquelles nous sommes arrivés. De temps en temps nous le faisons encore, nous vérifions sur des cas particuliers l’exactitude de certains résultats géométriques ou algébriques ; et certes, si l’on découvrait par voie déductive la formule des nombres premiers, je crois que l’inventeur ne manquerait pas d’en contrôler la justesse et d’en faire de nombreuses applications[1].

Une autre preuve que c’est bien là l’origine de la certitude des vérités mathématiques, c’est qu’aujourd’hui on hésite encore parfois à ranger parmi elles les propositions de la mécanique. Pour quelques-

  1. Dans mes Prolégomènes de la Géométrie, j’ai déduit systématiquement les axiomes et les postulats. C’est là que l’on trouve la justification de ces définitions nouvelles : La droite est une ligne homogène (c’est-à-dire dont toutes les parties sont semblables), le plan est une surface homogène. Quand je dis nouvelles, il y a une restriction à faire. Leibniz, à ce que m’a appris Ueberweg dans la critique qu’il a faite de mon œuvre (Journal philosophique de Fichte, vol. 37, p. 161), fondait de grands espoirs sur ces définitions de la droite et du plan : Recta est linea, cujus pars quævis est similis toti ; plana est superficies, in qua pars est similis toti, Leibniz dit qu’il reviendra quelque part sur ce sujet, mais Ueberweg, malgré son érudition étonnante, n’avait pu découvrir les développements annoncés.

    Les géomètres ne sont pas d’accord sur les propriétés générales de la droite et du plan, les uns repoussant ce que les autres admettent. Ainsi Euclide rejetait certains principes d’Archimède, par exemple, que de deux lignes concaves du même côte et ayant les mêmes extrémités, l’enveloppée est la plus courte. Quelquefois des discussions s’engagent sur la vérité des définitions. Ainsi Robert Simson, à propos de la définition X du livre XI d’Euclide, qu’il regarde, à tort il est vrai, comme fausse, tout étonné que cette fausseté n’ait pas été pendant si longtemps aperçue, s’écrie : Et ex hoc quidem modestiam discere debemus, atque agnoscere quam parum nobis cavere possimus, quæ est mentis humanæ imbecillitas, ne in errores incidamus etiam in principiis scientiarum quæ inter maxime certas merito estimantur. « Et cela certes doit nous apprendre à être modestes, et à reconnaître combien, vu la faiblesse de l’esprit humain, il nous est difficile de nous garder de toute erreur, même dans les principes des sciences qui passent à juste titre pour être des plus certaines. » (Voir la Géométrie de Gérard.)

    Un autre argument en faveur de la théorie que je soutiens ici est fourni par les géométries imaginaires. L’espace a trois dimensions, c’est admis ; mais, de même que la géométrie plane a pour objet un espace abstrait à deux dimensions, de même on peut créer une géométrie pour un espace de quatre et, en général, d’un nombre quelconque de dimensions. Or, entre ces géométries diverses, toutes logiques et toutes enchaînées, laquelle choisir comme la vraie, comme la réelle ? celle que l’expérience aura désignée. Ainsi encore on peut imaginer un système planétaire où les corps s’attireraient d’après une fonction de la distance autre que le carré, seulement cette fonction ne correspondrait pas à la réalité. La difficulté n’est donc pas de créer des systèmes a priori parfaitement combinés, mais de trouver un système représentant ce qui existe. Or, au début de toutes les sciences, on voit éclore théories sur théories. Arrivent des faits nouveaux qui ne tardent pas à les renverser, jusqu’à ce qu’enfin par ces éliminations successives, les vrais principes se dégagent et se fassent généralement adopter. (Cf. un article que j’ai publié sur ce sujet dans la Belgique contemporaine, 1861, tom. II, p. 302, 199).