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a au moins l’avantage de supposer une simplicité parfaite dans le langage de Socrate.

Nous admettrons qu’il parle d’un triangle quelconque, complètement donné, et d’un cercle, également donné, qu’il trace concurremment sur le sable. Voulant inscrire le triangle dans le cercle, il commence par y inscrire un des côtés, τὴν δοθεῖσαν αὐτοῦ γραμμὴν, que nous appellerons la base.

Cette inscription est toujours possible, pourvu que cette base soit inférieure au diamètre, condition évidente à priori et qu’il était réellement inutile d’exprimer.

Cela posé, la condition nécessaire et suffisante pour l’inscription est que l’angle au sommet du triangle opposé à la base soit égal à l’un de ceux qui ont pour mesure la moitié de l’un des arcs interceptés, et en particulier à l’angle de la base inscrite avec la circonférence du cercle, ce qu’Euclide appelle l’angle du segment[1].

Il n’est pas besoin d’être très-versé en géométrie pour reconnaître que cette condition est la première qui se présente à l’esprit. C’est d’ailleurs celle qu’on tirerait immédiatement du texte, si l’on pouvait donner à χωρίον le sens d’angle, ou si on lisait γωνιδίον par exemple.

Il suffit de traduire littéralement :

« Si cet angle (Socrate le montre évidemment sur la figure tracée, et ses indications corrigent ce que son langage a de peu précis) est tel qu’à côté de la ligne donnée, par laquelle on le sous-tend, il manque (pour aller jusqu’à la circonférence du cercle) un angle précisément tel que le sous-tendu lui-même…[2]. »

V. Nous ne proposerons pas, au lieu de χωρίον, une leçon d’un hellénisme douteux ; τοῦτο τὸ χωρίον se rapporte d’ailleurs nettement au τόδε τὸ χωρίον τρίγωνον qui le précède.

Il faut donc admettre, dans le langage de Platon, une certaine confusion entre la notion d’angle et celle de triangle ; ou, en d’autres termes, qu’il aura parlé suivant la définition vicieuse :

« Un angle est l’espace compris entre deux lignes qui se coupent. »

Mais si peu précise que fût la langue mathématique de Platon, pouvait-il employer une expression tout à fait ἄτοπον au temps d’Euclide ?

Nous répondrions que c’est précisément en étudiant ce dernier auteur, que nous est venue l’idée de la conjecture ci-dessus. On constate, en effet, dans son langage et ses démonstrations, les traces évidentes d’habitudes géométriques antérieures et différentes. Un angle

  1. Nous dirions plutôt aujourd’hui l’angle de la base inscrite avec la tangente à l’extrémité.
  2. Παρατείνειν serait pris dans le sens classique d’ὑποτείνειν, d’où ἡ ὑποτήνουσα, la ligne qui sous-tend l’angle droit, dit constamment par Euclide pour l’hypoténuse d’un triangle rectangle. La substitution d’un préfixe à l’autre est toute naturelle chez Platon, si la ligne prise comme base était sur le côté et non à la partie inférieure de la figure.

    Quant au sens actif particulier de παρατεινάντα, il se rapporte aussi sans difficulté à la construction qui reste à faire pour l’inscription.