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analyses. — kind. Celse et Origène.

présente d’une manière paradoxale : « Si les hommes se croient au-dessus des bêtes parce qu’ils ont des notions divines, qu’ils sachent que beaucoup d’entre elles peuvent réclamer le même avantage. Et à bon droit, car qu’y a-t-il de plus divin que de prévoir et d’annoncer l’avenir ? Or les autres animaux, et les oiseaux surtout, l’enseignent aux hommes, si bien que l’art des devins consiste tout entier dans l’observation des signes qu’ils révèlent. Si les oiseaux et les autres animaux propres à la divination nous montrent par certains signes ce que Dieu nous a caché, c’est qu’ils ont avec Dieu une société plus étroite, qu’ils lui sont plus chers et qu’ils sont plus sages. » (IV, 88.)

Mais si les animaux ont des sentiments religieux, ils doivent aussi avoir une morale, distinguer le bien du mal, pratiquer la vertu. Celse, « encore une fois précurseur du darwinisme », fonde l’aptitude morale des bêtes sur leur connaissance du divin. « Quant aux éléphants, aucun autre animal ne paraît plus fidèle au serment, plus obéissant aux choses divines, et cela sans aucun doute parce qu’ils en ont connaissance. » (IV, 88). Enfin, pour prouver que les cigognes ont plus de piété que les hommes, Celse l’appelle tous les traits qu’on raconte de la reconnaissance de cet animal envers ses parents et des soins qu’il prend de les nourrir. (IV, 98.) Il conclut en ces termes : « Tout n’a donc pas été créé pour l’homme, pas plus que pour le lion, pour l’aigle, pour le dauphin… Dieu ne s’irrite pas plus contre les hommes que contre les singes et les mouches.) (IV, 99.)

En somme, le, problème agité ici est celui de la place de l’homme dans la nature. Pour Origène, l’homme, en tant qu’être raisonnable, est le but de la création, et les animaux n’agissent que poussés par l’instinct. Selon Celse, les bêtes ont au moins autant de droits que les hommes à tout ce qui existe, et ils l’emportent même sur quelques-uns de nous au triple point de vue physique, intellectuel et moral. Au lieu de répéter à satiété sa proposition téléologique, déjà fort rebattue, nous estimons, avec l’auteur, qu’Origène aurait bien fait de rechercher et d’exprimer avec quelque précision en quoi consiste au fond cette fameuse distinction de l’instinct et de la raison. Mais il était trop possédé de sa croyance en la préexistence des âmes pour entendre seulement l’adversaire et discuter les faits. Rien ne le peut tirer de la vision où sans fin il contemple les anges, les démons et les hommes descendant du ciel à l’enfer et remontant de l’enfer au ciel. Toutes les âmes étaient à l’origine dans le sein de Dieu ; elles sont tombées d’une chute plus ou moins profonde en ce monde, mais elles y agissent, elles commandent aux êtres inférieurs et domptent les forces de la nature. C’est que Dieu, après avoir accommodé les choses ici-bas aux besoins de l’homme, lui a donné pouvoir sur elles. Origène part toujours de ces hypothèses : il suppose démontré ce qui est en question. Celse argumente et discute en naturaliste du second siècle, Origène en théologien de tous les siècles.

Jules Soury.