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Ferrari (Giuseppe) : Teoria dei periodi politici. Milano-Nappli, 1874.

La prévision des phénomènes sociaux n’est possible que par la connaissance de leurs lois. Spencer fait remarquer que cette prévision a pu quelquefois être tentée avec un certain succès ; mais il ajoute, après Comte, qu’elle est bornée à des mouvements très-étendus et à des phénomènes très-complexes, par le défaut de précision numérique des lois elles-mêmes. Voici un ouvrage dans lequel est exposée une méthode destinée à fixer une mesure exacte des phénomènes, et à investir les lois d’un caractère suffisant de précision. Ce n’est pas sur l’intensité des phénomènes, sur leur grandeur intrinsèque que repose ce nouveau moyen de mesure ; c’est sur un élément beaucoup plus général, à savoir leur durée. Le problème est ainsi posé : Étant donné un événement historique quelconque, ne peut-on pas le rattacher à une phase de la vie sociale d’une durée déterminée, dont la connaissance permette de prévoir de quels autres événements il sera suivi ? Cela suppose que les phases de la vie sociale diffèrent et se suivent dans un ordre déterminé, car autrement, comment saurait-on de quels événements sera composée la série nouvelle ? Et en effet l’auteur se fait fort de résoudre en même temps que le problème ci-dessus, le problème suivant : Étant donnée une phase quelconque de la vie sociale, quelle est la phase qui lui succédera ?

On le voit, la méthode proposée repose sur une idée toute contraire à celle qui a cours dans les ouvrages de la plupart de nos philosophes et de nos historiens. Ceux-ci croient généralement, depuis Condorcet, que l’humanité marche vers la perfection d’un mouvement plus ou moins rapide, mais continu et qui ne doit point avoir de terme ; et la différence entre la conception moderne du progrès et celle qu’en avait l’antiquité consiste précisément en ce que les philosophes du xviiie siècle et du nôtre, rompant le cercle fatal dans lequel les anciens et quelques auteurs du xvie et du xviie siècle avaient enfermé les destinées des nations, ont changé ce cercle en une spirale indéfinie, et convié notre race à des espérances illimitées. M. Ferrari pense, au contraire, que les esprits ont fait fausse route en abandonnant la trace des anciens : il n’a pas assez de termes sévères pour condamner la théorie actuelle du progrès. Et même il fait le procès de ses modèles en leur reprochant d’avoir cru à l’existence de périodes trop vastes qui ne pouvaient servir de mesure exacte aux événements. C’est ainsi qu’il raille Platon, Polybe, Machiavel, Vico lui-même, et qu’il immole les auteurs de son système à la rigueur nouvelle avec laquelle il prétend l’appliquer. Plus les ricorsi sont courts, plus ils sont l’expression vraie des mouvements de l’histoire (pages 502 et suivantes). « Le tort des écrivains a été d’embrasser des intervalles trop étendus, et de donner en quelque sorte des mesures démesurées… Tous les inventeurs d’époques procèdent par religions, par civilisations, avec des périodes sans limites, qui embrassent d’un trait les Perses, ou les Grecs, ou les Romains, ou les chré-