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mière vue, non-seulement une quantité de principes généraux auxquels leur uniformité donne une valeur objective, mais encore une règle reconnue pour mesurer les éléments variables dans le processus esthétique.

La seconde objection contre une investigation scientifique des sentiments esthétiques et de l’art est soulevée par une classe d’esprits différente. Selon eux, les essais des critiques dans les temps anciens et modernes pour fixer les conditions de l’effet esthétique ont échoué d’une façon signalée. Aristote même, ce philosophe doué d’une si haute intelligence, n’a pas pu déterminer toutes les ressources et tous les moyens de la poésie, et il n’est pas certain que Lessing, facile princeps parmi les critiques modernes, ait reconnu jusqu’à quel point la peinture peut réclamer à juste titre le droit de représenter les nombreuses nuances du caractère. Les découvertes du génie créateur, dit-on, ont constamment et toujours renversé les barrières posées par les soi-disant législateurs esthétiques. Pensez, par exemple, au tolle général soulevé contre l’introduction par Monteverde de la dissonance de la septième dominante, et cependant cette découverte a servi à donner de la clarté et un caractère défini à notre système moderne des clefs dans la musique. L’artiste, loin d’être arrêté par les conditions connues de l’effet esthétique doit découvrir ces conditions pour nous, et tout le progrès de l’art nous montre le caractère variable de la sensibilité esthétique.

En tant que cette objection est dirigée contre une législation prématurée et étroite dans les questions esthétiques, elle est, je crois, irréfutable. Ars longa, vita hrevis, trouve son application dans tous les essais de théorie de l’art, non moins que dans toutes les tentatives de réaliser l’idéal de l’art dans une production actuelle. Aucun homme en particulier, aucune réunion d’hommes ne peuvent prévoir les développements futurs de la création artistique et les sources d’émotion qui viendraient ainsi à se manifester. Mais on ne voit pas comment ceci empêcherait la création d’une esthétique, dans les bornes que nous réclamons ici. Proclamer l’existence d’une inconnue indéterminée dans le plaisir esthétique peut à juste titre être regardé comme une partie d’une bonne science esthétique. Reconnaître que nous ne savons pas bien fixer les limites du pouvoir de l’art, cela n’affaiblit pas notre droit de demander des bases scientifiques pour l’art, pourvu qu’il nous soit possible, en premier lieu, de poser certaines conditions universelles qui doivent s’appliquer aux développements futurs de l’art aussi bien qu’à ceux du passé ; et, en second lieu, d’arriver à une règle qui serve à mesurer la valeur de toute découverte future du génie.