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James sully. — l’art et la psychologie

La troisième difficulté soulevée contre toute création d’une science esthétique repose sur la liaison étroite entre l’art, les conditions sociales et le développement historique. Les procédés de l’art, dit-on, de même que les sentiments esthétiques qui y sont corrélatifs, sont surtout une production historique. Les principes de goût et les canons de l’art qui s’appliquent à une nationalité particulière, dans un temps particulier, ne peuvent nullement s’appliquer au reste du genre humain. L’art aussi bien que l’artiste ne sont pas créés par une influence externe immédiate, mais ils sont le fruit d’antécédents historiques. Il est impossible de faire naître l’amour de l’art dans un milieu national qui n’y est pas préparé. L’art prospère et grandit dans la même proportion que le développement social progresse dans son entier.

Il est évident que cette objection s’adresse non-seulement à une théorie proposée de l’art mais encore à d’autres sciences en voie de formation, telles que l’Économie politique et l’Éthique. Car les phénomènes industriels et les faits de la conscience morale sont soumis en grande partie aux variations des conditions sociales. L’objection perd sa force dès que nous reconnaissons la nature abstraite et par conséquent limitée de la science proposée. Il est parfaitement vrai que les effets de l’impulsion artistique dépendent en grande partie des conditions sociales du pays et de l’époque. En outre, on peut admettre que le progrès artistique est soumis en grande partie aux mêmes influences qui rendent compte de l’évolution sociale prise dans son entier. Cependant il semble possible de traiter les phénomènes de l’art comme l’Économiste traite ceux de l’industrie, en faisant abstraction de ces influences. On peut donc dire que le but de l’esthétique est de rendre raison de la nature et du développement de l’impulsion artistique, en tant que celle-ci peut être considérée comme un facteur à part dans l’activité et le progrès de la société.

En soulevant ces objections naturelles contre une théorie scientifique de l’art, nous avons poussé, pour ainsi dire, à la conclusion que la seule méthode profitable de traiter scientifiquement les problèmes de l’art est la méthode psychologique. Par là j’entends un appel non-seulement à l’étude des opérations mentales à l’aide de la réflexion individuelle, mais encore aux recherches plus modernes des lois du développement intellectuel dans la race et de l’influence qu’exercent l’un sur l’autre les différents esprits dans l’organisme social. C’est seulement en interprétant la science de l’esprit dans ce sens étendu, que nous pouvons en faire une base adéquate pour une théorie de l’art. Car les effets de l’art appartiennent, comme