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analyses. — renan. Dialogues philosophiques.

de Satan, que tout serait duperie. Il faut pourtant choisir : si ce Dieu ne doit sa naissance qu’aux vagues aspirations des êtres inférieurs et aux plus nobles désirs de l’homme, il ne peut leur préexister. Le seul maléfice qu’il puisse se permettre, c’est l’ingratitude : puisque, loin d’être l’auteur de l’univers, il n’est que son œuvre, et encore, œuvre problématique, œuvre de devenir. Mais, victime de je ne sais quelle mythologie qui est comme la nécessité de son style, M, Renan ne peut se borner à l’expression abstraite de la poésie : et c’est ainsi que peu à peu, dans son esprit, le Dieu vague du panthéisme, peu suspect jusqu’ici de méchanceté, tant il y avait de doutes sur son existence, ce Dieu devient un Machiavel scrupuleusement attentif à frauder l’univers. Le désir, l’amour, la génération, le dévouement de famille, le sacrifice, autant de pièges tendus à la naïveté humaine par la rouerie de la nature. Le monde est le jouet d’un égoïsme supérieur qui poursuit une fin par lui. L’art, la vertu, la religion, la science même, autant d’appeaux faits pour séduire et perdre les âmes trop faibles qui se laissent tenter. Et Dieu étend partout ses filets. Tous n’y sont pas pris, sans doute, est-il facile de remarquer, puisque le philosophe du moins a pénétré cette politique perfide. M. Renan a prévu l’objection : car il affirme que, pour éviter d’être dupe, il reste à être complice. « Le plus bel emploi du génie est d’être complice de Dieu, de conniver à la politique de l’Éternel, de contribuer à tendre les lacs mystérieux de la nature. » Il y a peut-être une joie raffinée à se faire ainsi le ministre d’un despote capricieux et fantasque : M. Renan, qui a eu tout le loisir de scruter l’âme d’un Néron, et qui, depuis lors, paraît avoir savouré en imagination la volupté esthétique du mal, connaît évidemment les charmes d’un tel rôle. Il s’étonne qu’un Schopenhauer, à qui toute cette diplomatie a été révélée, soit assez indiscret pour se révolter : il préfère, lui, se résigner et se taire. Il se fait même à ce propos louer par Euthyphron qui vante sa délicatesse, et l’applaudit de sa haine contre tout pharisaïsme.

Qu’y a-t-il pourtant au fond de cet alambic ? Toutes ces subtilités, comme les mythes analysés par Max Müller, sont dues à un abus de langage. Qu’est-ce que le machiavélisme d’un Dieu qui, s’il existe, n’a pas de personnalité ? Et comment, d’ailleurs, attribuer ce caractère à un être que, seul, l’idéal du bien suscite à la vie ? Voici dès lors à quoi se réduisent les deux certitudes annoncées par l’auteur : la négation du miracle (or un non n’a jamais passé pour un oui) ; et la croyance en un Dieu métaphorique, qui né de l’idée du devoir, se pervertit aussitôt, pour jouer au Méphistophélès. Si de telles fantaisies passent pour des certitudes, que seront les rêves ?

II. Probabilités. — Il est assez curieux de noter cependant qu’à mesure que M. Renan s’éloigne du certain, ou de ce qu’il croit tel, la précision chez lui s’accroît, comme par merveille. Ses hypothèses, à mesure qu’elles se raréfient, ont de plus en plus le relief devisions. C’est peut-être que plus son imagination se donne carrière, plus sa théologie s’é-