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vapore, pour laisser place à un monde où il ne reste que l’homme, et de l’homme même, ce qui lui paraît le plus humain : la science. Avec le second dialogue, en effet, Dieu disparaît : le divin n’est plus que l’effort par lequel l’univers tend à prendre conscience de lui-même, et Théophraste déclare que cette conscience absolue, entière, ne serait autre que la science parfaite. Y a-t-il des probabilités pour que cette science soit atteinte ? Telle est la face nouvelle du problème.

M. Renan qui, tout à l’heure, avait paru partir de Kant se rattacherait, au contraire, de la sorte, à la grande tradition positive, dont l’aïeul est Bacon ; il se reconnaîtrait l’héritier de l’Encyclopédie, le continuateur de Condorcet, dont il a fort bien parlé dans sa préface, et, le dirai-je, l’associé d’Auguste Comte, Certain article qu’il écrivit autrefois, intitulé l’Avenir de la Science, permet, à coup sûr, de lui attribuer cette direction de pensée : et la longue intimité philosophique qui l’unit à un savant tel que M. Berthelot n’a pu que l’y confirmer. Joint que les esprits réputés sceptiques, surtout parmi les humanistes, sont les plus ardents et les plus résolus à jurer par le Credo scientifique. Strauss n’a pas hésité à accepter tout l’évangile de l’encyclopédie contemporaine : nul scrupule d’exégèse ne l’a retenu, et, comme il l’avoue lui-même, il s’est vraiment converti à une « nouvelle foi ». M. Renan, non plus, n’a pas de doutes à cet égard : le De Natura rerum qu’il a un jour esquissé d’après Laplace, Bunsen, Lyell, Darwin et Huxley, est resté l’expression de sa croyance. Le mot n’est que juste ; il croit. Au point que, dans la sincérité de son zèle scientifique, il oublie de garder le ton, de respecter la méthode qui conviendraient à la science. Comme ces ultras qui sont plus royalistes que le roi, il a de la science meilleure opinion, il fonde sur elle de plus chimériques espoirs que ne le font les savants eux-mêmes. Au temps où Hegel régnait en Allemagne, de Humboldt se moquait fort des chimistes qui font de la chimie sans se mouiller les doigts : je suis persuadé que ces chimistes platoniques étaient les plus bruyants hérauts de la science de Lavoisier. Tant il est vrai qu’il faut à l’enthousiasme un peu de crédulité : le sceptique n’est libre qu’à l’égard de ce qu’il sait très-bien ; là où il n’a que de demi-lumières, il doute moins. Et c’est ainsi que M. Renan, comme Thomas More, imagine son île d’Utopie, comme Bacon, sa Nouvelle Atlantide,

Au reste, ce qui le préoccupe le plus, ce n’est pas la science elle-même, c’est le rôle qu’elle joue sur la planète, et la destinée qu’elle fait à l’univers. Il admet à priori, comme un axiome, que le monde, mû par un secret désir, aspire à la raison, veut être gouverné par elle. Depuis le jour où, rompant l’équilibre, la vie a animé le globe, toutes les forces ont convergé vers ce but. C’est la science qui le vise le mieux. Mais comment le toucher ? L’inquiétude est vive ; maintenant que l’homme et les sociétés ont conçu cet idéal, ils y ont placé leur espoir. Aujourd’hui que le grand Pan est mort, combien tout se subordonne à l’intérêt humain ! Dans bien des cœurs, l’humanité n’est-elle pas devenue Dieu ? Qui s’étonnerait alors que la politique ait le plus souvent suc-