Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, II.djvu/469

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
459
dumont. — m. delbœuf et la théorie de la sensibilité.

premières, à de prétendues intuitions, aux révélations de la raison, aux données du sens commun ; il est très-aisé de se passer d’hypothèses, quand on prend des résultats pour des principes évidents, des faits complexes pour des faits irréductibles, quand on se contente d’expliquer l’intelligence dans l’homme par l’intelligence en Dieu, la volonté par la volonté, la pensée par la pensée, en un mot quand on recule les difficultés au lieu de les résoudre. Ce sont là plus que des hypothèses déguisées ; ce sont des vues fausses, mais qui ont l’avantage spécieux de faire croire que l’on se dispense d’hypothèses ; elles permettent de se passer du mot, le public en conclut qu’on se passe de la chose. Tel philosophe qui pour avoir franchement déclaré faire des inductions et des généralisations, se trouve accusé de s’égarer de gaieté de cœur dans les hypothèses les plus téméraires, a cherché au contraire à rendre la science plus exacte, en substituant des hypothèses expérimentalement vérifiables à des idées à priori, présentées à tort comme évidentes ou irréductibles.

M. Delbœuf ne fait donc que se conformer à l’esprit scientifique quand il montre que les idées du moi, de la personnalité, du temps, de l’espace, de la distance, de la forme et beaucoup d’autres analogues ne sont pas des principes simples et indécomposables, qu’elles doivent être ramenées à des sensations élémentaires, que l’esprit humain arrive à ces notions, qu’il n’en part pas. Les sensations élémentaires une fois établies, M. Delbœuf cherche à en donner la détermination, à les mesurer autant qu’il est possible, et il essaie ensuite d’expliquer comment ces sensations élémentaires ont pu, au moyen d’une synthèse évolutionniste, donner naissance aux perceptions des différents sens. Ses analyses paraissent irréprochables sur certains points ; sur d’autres au contraire, elles ne peuvent nous satisfaire, soit qu’il ait mal interprété les faits, soit qu’il n’ait pas su tirer toutes les conséquences qu’ils impliquent. C’est précisément parce que ses théories se rapprochent beaucoup des nôtres, que nous éprouvons le besoin de montrer quelles sont celles de ses idées que nous adoptons, quelles sont celles que nous ne pouvons admettre.


III


Dans quelle école de philosophie devons-nous placer M. Delbœuf ? Après avoir lu l’ensemble de ses ouvrages, on peut être embarrassé pour répondre à cette question ? Dans certains passages l’auteur se défend d’être ni matérialiste, ni spiritualiste. Ailleurs il semblerait