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que la vérité consistât, selon lui, à compléter le matérialisme par le spiritualisme, de telle façon que le vrai jaillît de la combinaison de deux théories n’embrassant chacune qu’un des éléments de la réalité ; mais si sa terminologie et ses vues sur l’histoire de la philosophie étaient plus exactes, M. Delbœuf reconnaîtrait que la prétention d’unir l’étude de l’esprit à celle de la matière, est précisément le fond ordinaire de la doctrine spiritualiste, qui est presque sans exception dualiste. Le spiritualisme n’est pas la doctrine qui nie la réalité ni la substantialité de la matière, c’est au contraire la doctrine qui oppose cette substantialité à une autre substantialité de nature spirituelle.

M. Delbœuf semble d’ailleurs, quoi qu’il en dise, professer sur plusieurs points des vues qui impliqueraient le spiritualisme. « Parmi toutes les formes animales, la forme humaine a été choisie par Dieu pour être le tabernacle d’une âme raisonnable et immortelle… Les notions du vrai, du beau, du bien, de la liberté, du droit, du devoir, de Dieu, ont jusqu’à preuve du contraire (et cette preuve n’a jamais été donnée) des caractères incompatibles avec ceux des phénomènes matériels[1]. » C’est bien le langage du spiritualisme le plus classique. Ailleurs, M. Delbœuf semble même s’inquiéter des conséquences anti-spiritualistes que l’on pourrait tirer du rapprochement qu’il fait entre les facultés de l’homme et celles des autres animaux : « Si, dit-il, en parlant de l’animal en général, nous leur attribuons l’intelligence, la volonté, la conscience, la faculté de distinguer le moi du non-moi, nous n’entendons nullement, sans preuve, les assimiler à l’homme. Nous nous servons de ces expressions faute d’autres ; mais elles ne sont en tout cas susceptibles que d’un sens restreint déterminé par le texte[2]. » Mais il est encore un autre point par lequel M. Delbœuf doit être rattaché à l’école spiritualiste : nous voulons parler de l’emprunt qu’il fait à Maine de Biran de sa théorie de la conscience, de la volonté, de l’effort, de la motilité volontaire. Il ne prend pas le mot conscience dans le sens large et ordinaire pour embrasser tous les phénomènes subjectifs, les sensations aussi bien que les sentiments, la pensée aussi bien que le sens de l’activité, mais dans un sens arbitrairement limité pour ne désigner que la science réfléchie du moi, la connaissance spéciale de notre personnalité. Quant à la volonté, on sait quelle importance Maine de Biran lui attribue, ce n’est plus chez lui la causation en quelque sorte mécanique d’un acte par l’idée de son but, elle devient une faculté substantielle renfermant en puissance l’activité du moi. M. Delbœuf

  1. La Psychologie considérée comme science naturelle, p. 8.
  2. Ibid., p. 85.