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journalière. Tout le monde peut remarquer que, pendant un effort musculaire violent, marche rapide, saut, danse, exercices gymnastiques, la sensibilité auditive, visuelle, olfactive, tactile, est, de même que l’attention, émoussée et inerte. Or, si la même force peut, d’une façon absolue, se manifester sous forme de mouvement et sous forme de pensée, cela revient à dire que la pensée peut se transformer en mouvement et réciproquement. Et M. Delbœuf ajoute que s’il était possible d’établir qu’un courant nerveux parvenu dans le cerveau ne se retrouve pas, il serait prouvé que le mouvement a dû se transformer en pensée. Le cerveau serait l’appareil transformant le mouvement en sensation. Il ne resterait plus qu’à montrer le comment de cette métamorphose.

Le germe de cette théorie incompréhensible se trouve dans la psychologie anglaise contemporaine. C’est là que M. Delbœuf l’aura puisée ; mais il paraît ignorer la réfutation que M. Lewes en a donnée. Il était impossible de terminer par une conclusion moins heureuse un livre qui tout entier en présente la contradiction. Ce livre tend en effet à prouver le parallélisme de la sensation et du mouvement, et non la transformation de l’un en l’autre. Toutes les études de physiologie cérébrales mettent en évidence que la pensée, en tant que phénomène de conscience, s’accompagne de modifications cérébrales en tant que phénomènes matériels. La seule conclusion qu’on puisse en tirer, à moins d’admettre une harmonie préétablie entre deux substances, est que le phénomène de conscience et le phénomène matériel sont deux faces d’un seul et même fait, d’un seul et même mode de la substance. La substance éprouve en effet subjectivement telle sensation, en tant qu’elle manifeste tel phénomène de mouvement. Pour parler plus rigoureusement encore, nous disons que ce qui est subjectivement conscience ou sensation est objectivement matière ou mouvement ; qu’un phénomène qui pour lui-même est sensation, est mouvement pour les autres phénomènes. Un phénomène ne peut sentir que lui-même ; les phénomènes avec lesquels il est en relation ne peuvent lui apparaître que comme causes de modification de sa sensation, et encore faut-il supposer qu’il est capable de connaissance ; or ce que nous concevons comme causes de modification de la conscience est connu de nous comme matière et mouvement, alors même que cette cause aurait conscience d’elle-même comme sensation.