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dumont. — m. delbœuf et la théorie de la sensibilité.

au lieu de considérer l’effort comme une forme particulière de ce qu’il appelle sensibilité, l’oppose, comme Maine de Biran, sous le nom de motilité, à la sensibilité en général. Nous reviendrons sur cette théorie.

M. Delbœuf ne se montre point cependant d’un spiritualisme aussi pur dans toutes les parties de ses ouvrages. Nous le voyons insister, par exemple, sur le parallélisme constant du mouvement et de la sensation ; Sans doute ce parallélisme exclut l’identité et M. Delbœuf en conclut que nous ne pouvons concevoir ni le passage de l’insensible au sensible, ni celui du sensible à l’insensible, que par conséquent nous ne pouvons nous représenter un état initial de l’univers que comme contenant déjà en lui-même, non-seulement le mouvement et la matière, mais encore la sensibilité. Nous concevons à la rigueur comment, par une suite de perfectionnements successifs, l’intelligence de la monère peut en arriver à égaler celle de Newton ou même une intelligence infinie pour qui l’univers n’a plus de secret, et qui voit du même coup d’œil le passé et l’avenir. Cette conception nous est d’autant plus facile, que nous savons que Newton est sorti d’un œuf qui, certes, au moment de sa fécondation, n’avait pas une intelligence égale à celle d’un infusoire. Et cependant nous ne pouvons comprendre en aucune façon par quelle série de transformations il faudrait faire passer une portion de substance semblable à celle du corps de la monère à l’état insensible, pour la convertir en une substance douée de sensibilité[1]. Cette évolution de la conscience depuis l’intelligence de la monère jusqu’à une intelligence divine, infinie, pour qui l’univers n’a plus de secret et embrassant le passé et l’avenir, n’est plus conciliable avec les principes du spiritualisme traditionnel, et semblerait impliquer une sorte de panthéisme où la matière et l’esprit seraient les deux attributs d’un seul et même être, se développant simultanément.

Mais M. Delbœuf ne s’en tient même pas à ce système et dans les dernières pages de son dernier ouvrage, il se demande si la sensation ne serait pas une transformation du mouvement. Il ne s’agit plus dès lors de parallélisme, mais de succession entre les phénomènes de l’esprit et ceux de la matière. Le mouvement se change en pensée, comme le choc se transforme en chaleur. Nous sommes en plein matérialisme. Bien que M. Delbœuf ne propose cette théorie que comme une solution prématurée et n’ayant que peu de valeur scientifique, il témoigne pour elle une certaine sympathie. Cette thèse, selon lui, est en conformité avec certains faits de l’expérience

  1. La Psychologie comme science naturelle, p. 104.