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j. soury. — histoire du matérialisme

matérialisme ne se rencontre qu’au xviie siècle : ses destinées futures étaient déjà indiquées chez Bacon.

Descartes n’était pas ce qu’on nomme un atomiste ; mais les corpuscules ronds dont il remplit l’espace sont de véritables atomes, aussi inaltérables que ceux de Démocrite et qui ne sont divisibles qu’idéalement ; il remplace le vide des anciens atomistes par une matière subtile que l’on pourrait comparer à l’éther de nos physiciens, hypothèse qui ne supprime pas l’hypothèse du vide. Ce n’est rien objecter de valable contre celle-ci, en effet, que de rappeler qu’on ne connaît pas de vide absolu de la nature. Connaît-on mieux les atomes ? Où Démocrite imaginait du vide dans les interstices des corps, par exemple, ou dans les espaces infinis, on a découvert la présence d’une substance matérielle plus subtile que les corps pondérables, l’éther, qui remplit et feutre en quelque sorte l’étendue. Mais l’idée du vide ne nous paraît pas pour cela reléguée encore dans l’oubli où viennent dormir toutes les erreurs humaines. Ce que Démocrite disait du vide qu’il imaginait entre les atomes, on peut le dire de celui qui, par hypothèse, semble devoir exister entre les particules ultimes de Féther. En tout cas, le mouvement considéré par Démocrite comme un mode éternel de l’atome, le mouvement des dernières particules de la matière, est incompréhensible sans le vide. Descartes déclare nettement que le mouvement des particules matérielles, comme celui des corps, a lieu en vertu du choc qu’elles se communiquent réciproquement selon les lois de la mécanique. À la vérité, la cause universelle du mouvement est Dieu. Mais tout phénomène naturel, sans distinction de l’inorganique et de l’organique, ne consiste que dans cette communication du mouvement d’un corps à un autre. Lange aurait pu ajouter que Descartes n’attribue aucune force à la matière : il ne lui reconnaît d’autre propriété que l’étendue et les modes de l’étendue, si bien que, abstraction faite de la cause première du mouvement, l’univers s’explique ou doit s’expliquer par la pure mécanique, absolument comme chez Démocrite et les atomistes.

Il y aurait une étude pleine d’agrément et de solide instruction à écrire sur Gassendi. Qu’un prêtre catholique, un prieur, un chanoine ait pris Épicure pour son maître, et pour bréviaire la doctrine matérialiste, voilà qui est bien fait pour nous donner une idée des lumières du clergé au dix-septième siècle. Précurseur de Descartes, il a, indépendamment de Bacon, discerné celui de tous les systèmes antiques qui répondait le mieux à la tournure d’esprit de ses contemporains. On parle toujours des Cartésiens ; mais il y eut aussi des Gassendistes dans l’Université de Paris, et si les premiers, en dépit des