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j. soury. — histoire du matérialisme

ment une érudition inconnue aux anciens. S’appuyer sur l’exemple des enfants, des gens du commun et des idiots, pour prouver que nos propositions abstraites, loin d’être innées, n’apparaissent qu’à un moment du développement mental, ou n’apparaissent pas du tout, si certaines conditions viennent à manquer ; montrer que l’enfant sait que ce qui est doux n’est pas amer longtemps avant de connaître le principe logique de contradiction, en d’autres termes, que la connaissance du particulier précède celle du général ; établir savamment que toute connaissance a ses racines dans l’expérience sensible, et non-seulement nos idées simples de couleur, de son, d’étendue et de mouvement, etc., mais ce que nous appelons nos idées abstraites ; indiquer par quel artifice, pour avoir vu constamment paraître dans une certaine liaison des sons, des couleurs, etc., nous en venons à nous former l’idée composite d’une substance qui doit supporter ces apparences diverses ; enfin, reconnaître que les sentiments et les passions naissent aussi de la répétition et de la liaison des sensations simples, — c’était faire de la psychologie une étude comparée, exacte, expérimentale, partant une véritable science. Il est certes impossible d’admettre qu’il puisse y avoir dans l’entendement quelque idée ou notion qui n’y soit point née d’une sensation transformée. Mais l’esprit humain, quand on le considère tel que les siècles l’ont façonné, demande une explication moins radicale ou plus prochaine. Si l’expérience sensible est un élément de la connaissance, l’intellect en est un autre. C’est, on le sait, dans Aristote que se trouve l’image de la table rase sur laquelle rien n’est écrit actu ; chez Locke l’esprit est simplement donné comme « white paper. » Encore un coup c’est trop simple. Aristote au moins, appliquant à l’entendement la théorie de l’acte et de la puissance, n’est pas très-éloigné de ceux qui, avec Leibniz et Kant, croient que l’esprit apporte avec lui certaines formes qui concourent à la connaissance et déterminent la nature de toutes nos représentations subjectives.

Le matérialisme au XVIIIe siècle.

holbach et la mettrie.

Quand les littérateurs parlent du matérialisme, ils songent d’ordinaire aux philosophes français du dernier siècle. C’est en France, il est vrai, que, pour la première fois depuis l’antiquité, cette doctrine fut ordonnée en système par le baron d’Holbach. Mais ce serait bien mal connaître les Français que de croire qu’ils aient jamais pu être matéria-